Aujourd’hui, c’est un peu le marathon puisque nous avons 3 entretiens prévus dans la journée.
Mikhail
On ne traine pas le matin, et après s’être perdus une ou deux fois dans le grand métro de Kiev, nous arrivons à Beresteiska où nous rencontrons Mikhail. Il nous emmène dans un immeuble construit sous l’époque soviétique, dans lequel il a réservé un studio photo pour notre interview. Il est le directeur du bureau ukrainien pour une grande organisation américaine, spécialisée dans les pratiques de construction de la paix. Il nous parle notamment de son partenariat avec un lycée de Kiev dans lequel on trouve des élèves de 25 religions différentes ! Ils y nomment des “junior peace ambassadors”, qui sont formés à la médiation de conflit et à la non-violence, et ont ensuite la responsabilité de les enseigner a leurs camarades de classe et d’organiser des activités liées à ces thématiques.
En sortant du rendez-vous, nous passons près de la place Maidan, ou en 2014 des étudiants se sont rassemblés pour manifester contre le président en place qui avait refusé de signer un accord d’association avec l’Union européenne. Le mouvement avait été violemment réprimé, et on déplore de nombreux morts à la suite de cet événement. Près de la place, il y a un mémorial où les familles des victimes viennent se recueillir. Il est entouré par de petites barrières de fils barbelés, et on découvre des centaines de petits bracelets tissés aux couleurs de l’Ukraine accrochés dessus. Nous demandons leur signification à une passante, qui nous explique que ce sont les gens qui les ont fait a la main et sont venus les accrocher, pour la mémoire et pour la paix.
Oleksandrs
Notre rendez-vous suivant a lieu à l’église Saint-Aleksander . Nous rencontrons 2 Oleksandrs : l’un est vice président du Conseil National des Églises et organisations religieuses, l’autre dirige l’Institut pour la Liberté religieuse. Ils nous parlent de leurs actions, et nous décrivent leur rôle de lien, notamment lors des soulèvements populaires, entre les revendications de la rue et les politiciens. Au départ je suis sceptique : j’ai l’habitude d’entendre ce genre de discours, mais je sais aussi que souvent les élites sont déconnectées de la population et ne savent pas vraiment ce que veulent les gens. Alors, tout en m’attendant à une réponse diplomatique, je leur pose la question directement : “Comment est-ce que vous avez accès à cette parole que vous portez auprès des hommes politiques, quel est le lien des élites religieuses avec le peuple ?”. Étonnés, ils me répondent que c’est facile parce qu’en 2014 par exemple, ils étaient présents sur la place Maidan au côté des étudiants. Nous sommes très surpris : ce n’est pas courant pour nous de voir des responsables religieux, encore moins de religions différentes, manifester contre le gouvernement. On apprend même qu’ils ont fait une chaîne humaine entre les manifestants et les policiers, pour éviter qu’ils ne tirent dans la foule. Le prêtre nous raconte qu’il a eu peur a ce moment là, mais qu’il a engagé le dialogue avec le policier face a lui et qu’ils ont découverts qu’ils venaient du même village.
En sortant, nous repassons par la place Maidan, qui se charge d’une nouvelle symbolique pour nous après avoir entendu ces histoires. Le soleil commence à descendre, et nous pensons à l’expérience vécue ici par les étudiants, il y a à peine 5 ans.
Demyd
Nous nous dirigeons vers le parc Taras Shevchenko , pour notre troisième rendez-vous de la journée. Nous retrouvons Demyd, 24 ans, casquette sur la tête, baskets aux pieds et lunettes sur le nez. Décidément, aujourd’hui c’est 3 salles, 3 ambiances ! On s’assoit sur l’herbe et on commence a discuter. Demyd a l’habitude du micro et de la caméra, il s’exprime parfaitement en anglais : il a beaucoup évolué dans la sphère politique des organisations internationales lorsqu’il a créé son projet de “Youth Contact Group”. Demyd est originaire de l’est du pays, où la guerre continue encore aujourd’hui. Déplacé, il s’est installé a l’ouest pour étudier il y a quelques années, près de Lviv, et a découvert l’étendue des préjugés qui existent en Ukraine entre les jeunes de différentes régions. Il a donc eu une idée simple : créer un formulaire d’inscription Google pour des participants et faire des paires entre des jeunes qui vivent éloignés les uns des autres, pour leur permettre d’échanger. Le projet a rassemblé des centaines de candidature et permis de créer beaucoup d’amitiés improbables. Les jeunes échangeaient sur leurs langues (il y a des russophones et des ukrainophones), leurs traditions et leurs pratiques, certains sont même venus se rendre visite, et cet échange a permis de déconstruire beaucoup de préjugés. On est impressionnés par Demyd, qui aborde des thématiques très variées (la jeunesse, la mémoire, la politique, le lien entre identité et altérité, le terrorisme et même la cyber-securité ou la physique quantique) avec une lucidité et une culture impressionnantes. On se promet d’essayer de se revoir, pour prendre un verre avant notre départ d’Ukraine.
On profite d’un dernier diner avec Johannes, puisque demain il part en Belgique et nous changeons de maison. On devient de plus en plus rapides quand il faut refaire nos sacs a dos !