ArticlesPaix en Pratique(s)Saison 4

Paix en pratique(s) – Jamaïque

Jamaïcan council of interfaith fellowship

Services interreligieux

Le Jamaïcan council of interfaith fellowship est composé de représentants chrétiens, bouddhistes, musulmans sunnites, juifs, baha’i, hindous et rastafari. Ils organisent régulièrement des services interreligieux, au cours desquels ils font participer des membres de ces différentes communautés qui prennent le micro tour à tour le temps d’une prière. Ces évènements sont souvent suivis d’un buffet qui est l’occasion pour tous les participants de partager un moment informel et de créer des liens.

Endiguer l’épidémie de Sida

Au delà de la création de ces espaces de dialogue, le Jamaïcan Council of Interfaith Fellowship permet à ses communautés membres de se coordonner sur certaines questions brulantes du contexte jamaïcain. Les différents responsables religieux se mobilisent par exemple pour endiguer l’épidémie de Sida qui touche le pays. Conscients de l’image de cette maladie dans un contexte particulièrement homophobe, ils savent que la maladie se propage souvent parce que les personnes touchées en ont honte et n’en parlent pas. Ils encouragent donc le dialogue sur cette question et la sensibilisation aux pratiques de prévention : port d’un préservatif et relations sexuelles avec un seul partenaire régulier autant que possible. Chaque communauté travaille sur la question de manière cohérente avec ses propres traditions : les rastafari par exemple tentent de faire passer le message par la musique, en écrivant des chansons qui parlent de prévention et de sexe protégé.

Réhabiliter les prisonniers

Le Jamaïcan Council of Interfaith fellowship travaille également en lien avec la coalition anti-violence pour faire baisser le taux de crimes en Jamaïque. Les représentants des différentes religions membres du Council se rendent régulièrement dans les prisons et centres pénitentiaires pour travailler sur la réhabilitation des prisonniers à leur sortie et leur rapport à la violence. L’enjeu est de leur faire savoir que d’autres chemins s’offrent à eux pour construire une vie hors des gangs dans lesquels ils étaient souvent enrôlés très tôt. Là encore, la communauté rastafari travaille beaucoup autour de la musique reggae pour faire entendre le message de paix qu’elle tente de propager. Un grand nombre de prisonniers deviennent musiciens à leur sortie suite à leurs ateliers avec des responsables rastafari en prison.

Edna Manley College – Département de la danse

Le collège Edna Manley est la plus grande université des arts de Jamaïque. La diversité, sous toutes ses formes, est au cœur de sa pédagogie : elle accueille des étudiants de toutes les nationalités caribéennes, de différentes religions (majoritairement chrétiens et rastafari), de divers origines (africaines, européennes, indiennes, chinoises, japonaises), de différents sexes, genres et âges, des sourds et des entendants, des aveugles et des voyants. Les fondateurs de l’université considéraient la diversité comme un marqueur essentiel de la Jamaïque, et souhaitaient la préserver : les classes et troupes de ballets sont donc encore mixtes aujourd’hui.

Le collège a été crée en 1970, avec l’ambition d’étudier et de faire perdurer par les arts les formes spirituelles ancestrales qui n’existent pas hors de la Jamaïque. La démarche est à la fois spirituelle, artistique et politique : l’enjeu est de sublimer et réaffirmer l’identité jamaïcaine, qui a survécu à l’esclavage et à la colonisation justement grâce à l’art. Tous ses marqueurs ont été réprimés et supprimés pendant des décennies, et ont pourtant réussi à perdurer dans la musique, la danse, le théâtre ou la pratique spirituelle. C’est cette résilience qui est mise en scène par le collège Edna Manley, qui souhaite faire des racines culturelles jamaïcaines une opportunité pour créer de nouvelles formes d’art, en les connectant avec les pratiques contemporaines.

L’université est dotée d’un centre de recherche qui mène des études de terrain pour étudier les religions et pratiques sociales ancestrales, afin d’en extraire des mouvements d’expression artistique. L’ambition est de travailler sur l’évolution de ces formes, en ne laissant pas de côté l’influence européenne qui a également structuré l’art jamaïcain : les esclaves s’emparaient des mimiques de leurs maîtres pour les singer, ou communiquaient par les percussions pour ne pas être compris, et toutes ces pratiques ont perduré sous des formes nouvelles. Le processus de créolisation est donc étudié par le collège qui en fait des ballets contemporains.

La Kumina par exemple est un rituel de célébration, de la vie, de la mort, de la naissance ou du mariage. Elle est encore pratiquée beaucoup dans les milieux ruraux jamaïcains. Le collège Edna Manley en a fait un ballet, qui utilise les mêmes mouvements que dans le rituel, les percussions litaniques, les chants traditionnels, et qui engage le spectateur de manière active dans le processus. Le Garay est également toujours pratiqué aujourd’hui : c’est une sorte de réponse rebelle à la mort, qui souhaite signifier qu’elle n’a pas d’emprise sur le corps puisque nous avons la capacité de créer la vie. Les mouvements sont très liés à la communication entre sexes différents pour évoquer la procréation. « Garybenta », le ballet inspiré de cette pratique,  a été joué par les compagnies du collège Edna Manley tout autour du monde.

Pierre Lemaire

Pierre Lemaire est un français installé en Jamaïque depuis plus de 40 ans. Il a toujours enseigné le théâtre au collège Edna Manley, et y est devenu le doyen du département des arts dramatiques à la fin de sa carrière. Il est agnostique dans un pays où les non-croyants n’existent officiellement pas et où les spiritualités sans Dieu sont souvent incomprises ou méconnues. Pourtant, paradoxalement, sa spiritualité l’aide à travailler avec de multiples dénominations religieuses de Jamaïque qui font justement appel à lui pour son statut extérieur à toute religion. Il a crée des ateliers de théâtre, de mime, d’improvisation et de marionnettes qui permettent de donner corps à certains passages des textes religieux pour les interroger, rendre leur message vivant et lui redonner un sens qu’il perd parfois lors de l’apprentissage mécanique de certaines traditions. Différentes communautés religieuses, en particuliers chrétiennes, font donc appel à lui parce qu’il est agnostique pour mener ces ateliers avec des jeunes : d’après Pierre, c’est son regard extérieur et ses questionnements par le théâtre qui sont recherchés pour faire avancer la réflexion active des jeunes sur leurs textes religieux. Les textes sont apportés et proposés directement par les responsables religieux qui font appel à lui.

Pierre enseigne le théâtre à des étudiants de différentes religions : des chrétiens mais aussi des rastafaris, des juifs ou des musulmans. Il y a une forte tradition de la prière avant chaque événement important en Jamaïque, et les acteurs font habituellement une prière à Jésus avant de monter sur scène. Pierre s’engage contre cette pratique de l’imposition d’une prière chrétienne à tous, parce qu’il veut faire reconnaître la diversité des manières de prier, entre les croyants mais aussi avec les non-croyants. Il souhaite reconnecter ses étudiants avec l’idée que la prière est avant tout une affaire d’énergie, une manière d’aller puiser des ressources au fond de soi, comme le théâtre. Il met donc en place avant chaque représentation un cercle où chacun se tient la main et prie mais de manière intérieure et silencieuse, pour que chacun puisse choisir sa manière de s’ancrer, et que l’énergie circule par les mains entre tous les acteurs de la troupe.

Pierre conçoit le théâtre comme un vecteur d’éducation et de pédagogie pour les communautés les plus vulnérables de Jamaïque. En effet, c’est un pays où les inégalités sont très fortes et où une grande partie de la population vit dans une précarité alarmante. Elle n’a donc pas la possibilité de se saisir de certains sujets, comme les questions environnementales par exemple. Avec des troupes d’acteurs de différentes origines et religions, Pierre monte des ateliers et des pièces de théâtre dans les prisons, ou les quartiers défavorisés, sur la question du changement climatique, sur la violence entre communautés ou au sein des familles, sur l’acceptation des différences (en particulier liées au handicap, à l’homosexualité ou aux personnes touchées par le VIH, des thématiques particulièrement rejetées en Jamaïque).

Jamaican council of churches

Le Jamaicain council of churches est une organisation œcuménique, qui regroupe les responsables de la plupart des religions chrétiennes présentes en Jamaïque, très majoritaires dans le pays. Ils s’engagent sur différentes thématiques, et notamment sur la question de la violence. Ils ont crée un petit-déjeuner auquel ils assistent tous chaque mois, avec les principaux acteurs politiques du pays, pour débattre et échanger sur les manières de sensibiliser la population de la manière la plus efficace possible aux problèmes de violence. Ils souhaitent donc utiliser leur influence très forte sur les citoyens jamaïcains pour permettre de faire émerger un changement de mœurs, tout en s’alliant avec le travail politique mené sur ces questions : l’ambition est d’avoir une approche holistique de la violence jamaïcaine pour tenter d’y répondre au mieux.

Le Jamaïcan Council of churches s’engage également dans la lutte contre l’épidémie du Sida. Les différentes institutions chrétiennes du pays sont en partie responsables de la propagation de l’homophobie et de la mauvaise image des personnes atteintes par le VIH qui règne en Jamaïque. Le Council s’engage donc dans la formation des ministres du culte, leurs présentent des faits scientifiques, et des statistiques sur le taux de suicide des personnes atteintes par le Sida. Les responsables religieux formés deviennent des conseillers sur le terrain, des personnes ressources capables d’accueillir la parole des victimes pour les accompagner vers une attitude responsable leur permettant de ne pas propager le virus.

Programmes scolaires

Les programmes scolaires de Jamaïque incluent l’apprentissage du fait religieux et la visite de différents lieux de cultes, y compris des synagogues et mosquées, alors mêmes que les populations juives et musulmanes représentent une extrême minorité dans le pays. L’examen qui marque la fin du lycée (équivalent du baccalauréat) inclut des questions sur les différentes religions, leur connaissance est donc nécessaire pour réussir et entrer à l’université. Ces programmes scolaires permettent aux jeunes jamaïcains d’avoir une bonne connaissance des différentes pratiques et croyances présentes dans leur pays, ce qui minimise la diffusion de préjugés et l’intolérance religieuse. 

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