Ce matin, nous avons pris un peu d’avance sur notre route pour Cotonou. Nous avons rendez-vous avec le président du conseil des cultes endogènes du Bénin, et nous ne voulons pas être en retard. Un de ses collaborateurs est supposé venir nous chercher en ville, nous prenons donc un petit déjeuner sur la place avec Noël, notre chauffeur, en l’attendant. Notre guide nous rejoint alors que Floraine n’a pas fini son omelette : elle l’engouffre en une seconde et nous prenons la route. Nous arrivons dans une grande bâtisse assez sombre, avec des dédalles interminables de couloirs qui nous mènent enfin dans une salle où nous attend David Koffi Aza.
Pendant plus d’une heure, il prend le temps de nous faire découvrir les religions endogènes sous un prisme qui est totalement nouveau pour nous. Loin de la sorcellerie et des pratiques obscures que l’on associe souvent au vaudou, il nous parle de l’ancienneté de la pratique divinatoire du fa (qui provient de l’Egypte antique !) et des croyances associées. Nous découvrons aussi que la coexistence pacifique entre les religions qui nous a été présentée depuis notre arrivée au Bénin mérite d’être nuancée à la lumière de l’histoire des discriminations envers les pratiquants du vaudou. David Koffi Aza nous parle des persécutions subies depuis des décennies, notamment de la part des missionnaires chrétiens et musulmans, qui ont brûlé et pourchassé les communautés endogènes. Aujourd’hui encore, beaucoup de préjugés circulent sur leurs pratiques, ils souffrent d’un certain nombre de discriminations à l’embauche ou sur la base de leurs tenues vestimentaires, et ils ont peu de représentation politique. David Koffi Aza l’explique par le fait que la plupart de ces pratiquants sont analphabètes, et peinent donc à être pris au sérieux. Le mode de résistance qu’il prône est donc l’éducation supérieure : il souhaite encourager les pratiquants de vaudou à obtenir des doctorats dans de multiples domaines pour leur permettre d’infiltrer à l’avenir les sphères politiques, académiques et religieuses. Nous ressortons un peu secoués de ce rendez-vous. C’est parfois difficile pour nous de faire la part des choses quand nous recevons des discours si divergents de la part de différents responsables. Nous rentrons y réfléchir à la maison, où nous passons l’après-midi à avancer sur nos tâches.
Le soir, nous sommes invités à diner chez Noureini et Rachel. Nous y rencontrons un enseignant d’histoire, qui nous parle beaucoup du rapport qu’entretient le pays à la France. Un rapport qui nous a sauté aux yeux, nous sommes un peu choqués par le nombre de pubs qui parlent de la France, c’est un véritable argument de vente ici. Nous lui posons des questions sur l’enseignement de l’histoire, et nous sommes effarés d’apprendre que les étudiants travaillent encore ici sur « les aspects positifs de la colonisation ». Il a monté une boite d’édition de livres pour enfants, pour promouvoir des modèles noirs car les histoires sont dominées par les blancs. Il nous parle des préjugés inconscients qui s’ancrent dans la tête des plus jeunes sur leur propre couleur de peau, et nous réalisons une nouvelle fois que nous avons véritablement le devoir de nous informer sur les effets que continue d’avoir la colonisation française dans certains pays du monde. Embarqués dans une longue conversation passionnante sur ces questions, nous ne voyons pas l’heure passer et réalisons qu’il est bien trop tard et que Noureini commence à s’endormir sur le canapé. Il se réveille tout de même de temps en temps pour défendre le président Macron lorsque l’historien critique sa politique, car Noureini lui est très reconnaissant d’avoir accordé le premier retour des œuvres artistiques béninoises au pays. Il nous rappelle aussi que Macron est un président jeune, le premier de l’histoire de France à n’avoir pas connu de sa vie adulte la période de la colonisation : c’est pour lui un immense espoir, et j’avoue n’avoir jamais pensé à ça avant qu’il me le dise.
Adèle