Après 7 jours d’étude en Albanie, nous partons le cœur gros de rencontres et de vie aux côtés de la famille Dingu, que nous ne sommes pas prêts d’oublier ! Ce pays et ses habitants nous ont réservé un accueil des plus chaleureux et un partage de leur histoire particulièrement généreux.
Une histoire du communisme et de la solidarité
L’Albanie est un pays marqué par un régime communiste de 1944 à 1991. A cette époque, toute pensée contraire à l’idéologie communiste est muselée. Les nombreuses communautés religieuses (musulmane, catholique, orthodoxe, Bektachi et protestante) alors réduites au silence, coopèrent et travaillent ensemble en secret. Cependant, la répression les force à la discrétion et à une réduction drastique de leurs activités. Aujourd’hui, si la pratique religieuse a repris et s’est intensifiée, la jeunesse albanaise a grandi dans des foyers où la religion n’a une place que très secondaire. En effet, les parents sont bien souvent de la génération éduquée pendant la période communiste. Irda et Redona, des jeunes jumelles de 20 ans que nous avons rencontré lors d’une conférence de « No Hate Speech » nous ont confié que, bien que la religion soit visible dans l’espace public, elle n’est pas forcément prédominante dans la vie des albanais et notamment des jeunes. On pourrait aussi croire que l’Albanie se prête à une assimilation aisée entre athéisme et communisme. Pourtant, si cela est avéré pour une partie de la population, nous relevons une très grande volonté de faire table rase du passé et de ne pas jeter certaines angoisses enfouies sur des générations nées hors de cette période noire.
Un Etat laïc protecteur des convictions de chacun
Aujourd’hui, l’Albanie est non seulement connue pour être le pays d’origine de Mère Thérésa mais également pour être un berceau de coexistence malgré toutes les épreuves traversées. Si le cimetière islamo-chrétien en est un exemple, nous retiendrons le déplacement des différents responsables religieux albanais à Paris au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo. Ces responsables, que nous avons eu la chance de rencontrer, nous ont dit combien il était évident et important pour eux de mettre en avant cette particularité qui fait leur fierté. Dans le musée du temple Bektachi, où Dede Baba Edmund nous a accueilli, nous avons pu voir à plusieurs reprises de grands portraits où il figurait main dans la main avec le Pape François.
Etat laïc depuis sa constitution de 1998, l’Albanie est le seul pays d’Europe à majorité musulmane (environ 60%), tandis que les chrétiens représentent 17 % de la population (avec notamment 10% de catholiques, 6,8% d’orthodoxes et 0,2% de protestants). Les athées, agnostiques et autres mouvements de libre-penseur représentent 24% de la population albanaise. Ces statistiques sont effectuées par le Comité d’Etat sur les cultes pour notamment gérer les demandes d’aides des différentes communautés et suivre leur évolution.
Le bektachisme, au fondement d’une pensée spirituelle et libérale
Bien que ne représentant que 2,5% de la communauté musulmane, l’influence du bektachisme a teinté la société albanaise tant de spiritualité que de libéralisme. Mouvance mystique issue de l’Islam Chiite et proche du soufisme, le bektachisme se distingue par une pratique personnelle qui engage davantage le croyant que la communauté dans son ensemble. Par ailleurs, leur interprétation des textes coraniques les attache plus au fond qu’à la forme : femmes et hommes prient ensemble et aucune tenue vestimentaire n’est requise. Contrairement aux communautés traditionnelles, les bektachis n’ont pas de rites de prières ou d’appels à la prière. Cependant ils s’attachent à suivre un guide spirituel en la personne du « Baba » ; chaque membre masculin de la communauté peut être initié pour devenir « derviche », une personne qui dédie sa vie aux enseignements, à la communauté et est au service permanent du Baba dans l’espoir de prendre sa succession, au jour de sa mort.
Le système éducatif comme laboratoire de recherche
En Albanie, il est interdit dans les établissements publics de dispenser des cours d’enseignements religieux. Néanmoins, la mentalité albanaise encourage l’ouverture aux différentes convictions et permet de beaux échanges entre les élèves. La question de l’éducation au fait religieux est ainsi devenue centrale dans l’évolution du système éducatif albanais. Lors de notre rencontre avec Christina Vazak, Ambassadeur de France en Albanie, nous avons appris que, depuis l’incarcération de deux imams soupçonnés d’incitation à la violence extrémiste en 2011 à Tirana, le premier ministre albanais a souhaité tester, dans 10 municipalités du pays, un nouveau programme d’éducation au « fait religieux ». Fioralba Skhodra, coordinatrice pour l’ONU, nous a également introduit au rapport effectué par un agent de l’ONU concernant les conclusions à tirer de cette expérience. Ces conclusions seront ensuite examinées par le gouvernement albanais, puis, conjointement, ils conviendront d’une décision à prendre. Ce projet a également été suivi de très près par l’Observatoire de la Laïcité, en France.
Notre équipe souligne d’ores et déjà la nécessité d’un second voyage en Albanie, pour rencontrer davantage d’acteurs du vivre ensemble dans ce pays qui balaye toutes les idées préconçues sur le vivre-ensemble.