Chypre, cette petite île entre plusieurs continents, cultures, héritages. Un petit bijou au carrefour des civilisations et des routes maritimes qui ne semble pourtant pas attirer l’attention de nos médias, et c’est pourquoi nous sommes très heureux de pouvoir vous en dire quelques mots !
Quelques éléments de contexte
En 1931 a lieu le premier soulèvement des Chypriotes contre l’occupant britannique. Makarios III, alors archevêque de l’Eglise orthodoxe, conduit le mouvement de contestation qui réclame l’Enosis, c’est-à-dire le rattachement de Chypre à la Grèce. Cependant, dès 1955, si les combats persistent entre Chypriotes et Britanniques, les tensions intercommunautaires s’intensifient entre chypriotes grecs et chypriotes turcs, alimentées par la politique de différenciation ethnique entreprises par le Royaume-Uni : « diviser pour mieux régner ». En effet, Chypre est constitué de deux communautés ethniques, l’une d’influence grecque, l’autre d’héritage turc-ottoman. En 1960, alors que l’indépendance de l’île est proclamée, la nouvelle constitution instaure une répartition du pouvoir entre Chypriotes Turcs et Chypriotes grecs. Seulement deux ans plus tard, l’ONU est contrainte d’intervenir alors que la guerre civile ne fait que commencer. En 1974, Makarios III, alors Président de la République, est renversé par le putsch des colonels Grecs. En réponse à cela, la Turquie, s’imposant comme défenseur de la minorité Turque, débarque au nord de l’île pour occuper près de 37% du territoire. En 1983, la communauté Turque proclame unilatéralement l’indépendance de la République Turque de Chypre Nord (dit RTCN) qui, encore aujourd’hui, n’est reconnue que par la Turquie. Voilà donc 43 ans que la petite île méditerranéenne est déchirée face au double héritage culturel et ethnique de sa population. Malgré l’adhésion de la République de Chypre à l’Union Européenne et les nombreuses tentatives de résolution de conflit, la présence militaire turque perdure en RTCN. La Turquie a déjà engagé, depuis bien des années, un processus de colonisation qui fait désormais de la population chypriote-turque, une minorité sur son propre territoire.
Le paysage interconvictionnel
Géographiquement, Chypre est situé dans la mer méditerranée, au sud-est de la Grèce, au sud-ouest de la Turquie et à l’est du Moyen orient, notamment du Liban et d’Israël. Chypre est ainsi au carrefour d’un héritage culturel et religieux immensément riche. Toutefois, le conflit qui déchire la capitale de Nicosie en deux est davantage ethnique que religieux. La religion n’a en effet été qu’un instrument utilisé par les britanniques pour diviser davantage les deux communautés et mater l’insurrection chypriote. Néanmoins, si les chypriote-grecs sont davantage pratiquants et attachés à la tradition grecque-orthodoxe, les chypriotes du nord, bien qu’ethniquement turcs ne sont que très peu pratiquants de l’islam alors que les colons turcs le sont bien davantage. Quant à la jeunesse, de part et d’autre de la frontière, elle semble avoir un intérêt décroissant pour la religion. Au niveau institutionnel, les leaders religieux sont particulièrement impliqués dans le dialogue interreligieux à l’image du père Gregorio, évêque de l’Eglise Grecque Orthodoxe de Chypre. Ce qu’il remet en cause « n’est certainement pas l’Islam avec qui nous avons vécu pendant des centaines d’années, mais bien l’invasion truque illégale ».
Aujourd’hui, dans l’art de la provocation utilisée au nord comme au sud, la RTCN a notamment dirigé les mégaphones de la Mosquée Selimiye (ancienne Cathédrale Sainte Sophie, au temps des croisade) vers la partie sud de Nicosie. Chaque soir, un versant de la montagne est illuminé par d’énormes néons blancs formant le drapeau de la RTCN (le drapeau turc en couleurs inversées avec une bande rouge en haut et en bas).
Le regard de la jeunesse sur une éducation clivante
La jeunesse est née dans un contexte qu’elle ne tend pas forcément à remettre en cause. Néanmoins, parmi les jeunes que nous avons rencontrés lors de nos interviews, beaucoup nous ont confié avoir changé tardivement de vision sur leur pays. Georges, à l’initiative de Cyprus Coastline Hikers, dit qu’avant de vouloir s’engager pour l’unité de Chypre, il était davantage en faveur d’une union de Chypre avec la Grèce. De manière générale, les jeunes pensent avoir peu d’intérêt pour la question chypriote jusqu’à ce qu’ils soient introduits à de nouveaux récits historiques. La question de l’éducation à cette pluralité de récits est donc centrale. Maria et Yiota, deux membres de l’organisation YEU Cyprus, et professeurs des écoles, nous ont confié leur intention de ne pas perpétuer un enseignement clivant qui omettrait de transmettre l’histoire et les souffrances des chypriotes du Nord. Cependant, cette jeunesse engagée est encore bien minoritaire et cela sûrement pour une raison simple : une fois la frontière dépassée, on entre en terre inconnue. La langue n’est plus la même, le réseau change et la monnaie aussi. Au final, même si la RTCN n’est pas reconnue sur le plan international, il reste que, dans les faits, tout la sépare de la partie sud de l’île. Pourtant, ce contexte n’effraie absolument pas nos amis chypriotes qui croient profondément dans le rôle de l’éducation pour endiguer le problème. Pour eux, une réforme totale du système éducatif par la prise en compte du conflit permettrait à chaque enfant d’avoir une éducation bilingue ainsi qu’un enseignement de l’histoire conciliant les mémoires de chacun.
Nous avons à cœur de suivre de près l’évolution de ce pays et les solutions qu’il saura mettre en place. Désormais, cap sur Israël et la Palestine, également déchirés, mais ce pour des raisons si complexes qu’il serait indécent d’en faire une comparaison. Une fois de plus, nous serons confrontés aux murs et checkpoints de la division et mais aussi à l’espoir de ceux qui se battent pour l’unité.