Ce matin, nous devons partir tôt car nous voulons passer à l’institut français. Nous avons une interview cet après-midi et nous devons trouver un lieu pour la tourner, nous voulons donc demander l’autorisation de venir dans le jardin de l’institut.
Abderrahim et moi allons demander, et après avoir exposé le projet à 3 personnes différentes, nous obtenons l’autorisation. Nous prenons donc la route pour le bureau des passeports où nous sommes supposés récupérer nos passeports. Pendant que Floraine et Vincent font la queue devant le guichet, un homme s’approche d’Abderrahim et l’invite à le suivre. Je suis le mouvement pour ne pas laisser Abde tout seul, et on nous indique un bureau au 2ème étage d’un bâtiment sur la droite. Là, un monsieur dit directement à Abderrahim « Tu es musulman ». Ça commence mal. Je lui fais remarquer que ça n’est pas marqué sur ses papiers, il me répond qu’il le sait en voyant son nom. Il nous pose quelques questions sur le projet et quand il apprend que nous avons tous des convictions différentes, il prend nos demandes de visa pour y noter à la main nos religions respectives, « juive », « musulman », « agnostique (sans religion) », « catholique ». Quand je lui donne la religion de Vincent, il me dit « Ah c’est mieux ». « Ah bon, c’est mieux d’être catholique ? », « Oui, c’est mieux. ». Il nous fait sortir du bureau, attendre une petite demie heure dans le couloir. On commence à être un peu énervés, d’abord par ses remarques, et aussi parce qu’on va bientôt être en retard pour notre interview du matin. Retour dans son bureau, il nous pose encore un salve de questions, puis on attend de nouveau dans le couloir. Un autre monsieur nous demande de le suivre en nous hurlant dessus, puis de l’attendre en bas, mais non en fait de le suivre, mais non restez là. On ne comprend rien, et ça commence à être vraiment fatiguant de se faire agresser. Le premier monsieur repasse devant nous en nous demandant pourquoi on attend là, mais non ce n’est pas un endroit pour attendre, allez au guichet de gauche. Au guichet de gauche on nous envoie au guichet de droite qui nous renvoie au guichet de gauche, c’est la maison qui rend fou cet endroit. On finit quand même au bout de plus d’une heure par ressortir avec nos visas pour retrouver Désirée, notre chauffeur qui nous conduit à notre rendez-vous avec l’Union musulmane du Togo.
Le président de l’organisation nous attend, avec un imam. Ils nous reçoivent dans la mosquée de Lomé, pour nous parler notamment de leurs actions de sensibilisation de leur communauté contre l’extrémisme religieux. Ils souhaitent empêcher les musulmans togolais d’être les cibles des processus de radicalisation menés par Boko Haram, et rappellent donc que l’islam est une religion de paix. Nous sommes enthousiasmés par ce rendez-vous. Pendant que Vincent range le matériel d’interview, l’imam me demande « Alors agnostique, il n’y a pas de Dieu ? ». Je lui réponds que je n’en sais rien, que pour moi non mais je veux bien croire que pour lui oui. « Mais tu viens d’où toi, quelqu’un t’a bien crée ? » « Oui, ma mère et mon père ». « Et eux qui les a crée ? », « mes grands-parents ». On remonte loin comme ça jusqu’à ce que la phrase que j’ai décidément un peu trop entendue tombe « tu devrais être musulmane. Quand tu vois Abderrahim prier sur son tapis ça ne te fait rien ? Eh bien tant pis tu devrais quand même l’imiter et faire pareil ». À la sortie du rendez-vous c’est Abderrahim qui est plus énervé que moi, il n’aime pas qu’on donne cette image de sa religion. Nous allons faire une pause dans cette longue journée en retournant manger au restaurant qui se trouve en face de l’institut français, avant notre rendez-vous de l’après midi.
Nous y retrouvons les jeunes du Réseau des Jeunes pour la Fraternité Interreligieuse au Togo, que nous avons déjà rencontrés ce week-end. Mais cette fois nous croisons la sous-directrice de l’institut français qui nous dit que finalement nous n’avons pas encore l’autorisation de filmer dans le jardin, parce que nous parlons de religions, il faut donc l’aval de l’ambassadeur pour répondre à notre demande. Après 45 minutes d’attente, nous décidons qu’il va nous falloir trouver une autre solution. Nous partons donc avec les trois jeunes en direction de la plage toute proche, pour y faire l’interview. Sur le chemin, le DG de l’organisation m’interroge : « Tu ne crois pas en Dieu du coup ? Tu devrais croire en Dieu. Qui t’a crée ? Tes parents ? D’accord mais eux qui les a crée ? Je vais te convaincre tu vas voir ». Ça commence à faire beaucoup de tentatives de conversion pour une journée. Je suis patiente et je comprends que ça fait partie de mon engagement de répondre à ces questions, parce que la plupart des togolais n’ont certainement jamais rencontré de non-croyant de leur vie. Mais je commence à trouver que cette journée est un peu longue. L’interview se passe quand même très bien. C’est une sorte de Coexister togolais, et ils ont plein de pratiques super inspirantes : un concours d’éloquence pour les femmes, un événement pour sensibiliser à la paix en période d’élections ou des week-end interreligieux.
Après l’interview, nous attendons Desirée qui arrive avec 1h30 de retard à cause d’un pneu crevé. Il y a des jours comme ça….. Heureusement, nous rentrons diner avec les novices qui illuminent notre journée par leur bienveillance, leur accueil et leur bonne humeur. C’est notre perle de la journée. On est vraiment très heureux de pouvoir diner avec eux tous les soirs pour apprendre à mieux les connaître, ils sont tous si inspirants et avec des parcours de vie très différents ! Ce soir, l’Albatros m’apprend qu’il connaît l’histoire de sa famille camerounaise sur 26 générations, et qu’il a notamment pour ancêtres une princesse qui a épousé un esclave.
Adèle