Nos 6ème et 7ème étape du projet nous emmènent sur les routes d’Israël et de Palestine, cette région du moyen orient si souvent présente dans l’actualité internationale et dans les débats de comptoirs depuis des décennies. Un voyage très attendu, à la fois excitant et angoissant, et des montagnes russes d’émotions pour chacun d’entre nous.
Contexte historique
Au cours de l’Histoire, la Palestine a vu ses frontières autant que ses occupants se modifier. Aujourd’hui, ce sont les peuples ancestraux, Juifs et Arabes chrétiens et musulmans, qui réclament leur filiation à ces terres.
Fin des années 1800, la Palestine est alors sous occupation ottomane. En Europe, la communauté juive, déjà victime de discriminations et persécutions, exprime de plus en plus son désir d’un Etat Juif comme refuge pour les minorités juives opprimées et d’un retour en « Terre d’Israël », seul vestige de son héritage. Entre 1880 et 1890, près de 30 000 Juifs d’Europe de l’Est s’installent en Palestine, fuyant pogroms et lois antisémites. C’est le premier « Aliyah », littéralement « retour à la terre » en hébreu. Ce mouvement de retour en Palestine, encensé par Théodor Herzl, prend alors le nom de « sionisme ». Ainsi, le sionisme se constitue en lobby de la cause juive sur la scène politique européenne, notamment à la suite des événements de l’Affaire Dreyfus qui déchiraient la population française.
Au même moment, en Palestine, deux tiers de la population arabe est alors analphabète et n’a donc qu’un accès très limité à la communication faite par les journaux pan arabique et nationalistes dénonçant les tractations entre le mouvement sioniste et les puissances coloniales européennes. En 1901, le Fond National Juif est créé pour financer l’acquisition de terres en Palestine. Néanmoins, face au refus du pouvoir ottoman de créer un foyer national juif en Palestine, Herzl se console, deux ans plus tard, avec une proposition britannique d’établissement en Ouganda (actuel Kenya). De ce débat sur la question Ougandaise, se dégage une faction territorialiste qui, à la différence des sionistes, souhaite un territoire, quel qu’il soit, sur lequel implanter. Refusant d’abandonner le rêve Israélien, le mouvement se déchire. Toutefois, le sionisme essuie bon nombre de critiques notamment de la part de juifs religieux messianiques qui attendent la venue du messie pour entamer le retour en Terre Sainte et s’opposent ainsi à la politique de prise en main du destin Juif initié par Herzl. A la veille de la Première Guerre Mondiale, on compte déjà plus de 80 000 Juifs en Palestine.
Quatre ans plus tard, la fin de la guerre et le démantèlement de l’empire ottoman permettent au Royaume-Uni de prendre le contrôle de la Palestine. Dans la foulée, c’est par la Déclaration Balfour, que le gouvernement britannique se dit favorable à la création d’un foyer juif en Palestine, parmi le peuple arabe présent. C’est ainsi qu’il propose, en 1937, un premier plan de partage, avec, au nord, les Juifs, et au sud, les Arabes ainsi qu’un statut international pour Jérusalem. Ce plan sera cependant refusé par les deux parties, les Juifs ne voulant pas des frontières proposées et les Arabes refusant catégoriquement tout plan de partage.
Toutefois, la Seconde Guerre Mondiale et les atrocités de la Shoah seront un facteur d’unité face aux désaccords internes à la communauté juive. Dès 1947, l’ONU présente ainsi un nouveau plan de partage et, malgré le refus catégorique des arabes et les menaces des pays limitrophes, Israël déclarera son indépendance, suivant le tracé du plan onusien. C’est ainsi qu’éclate la première guerre israélo-arabe, qui se soldera par une défaite des pays arabes et d’une prise de contrôle d’Israël sur une partie des territoires Palestiniens. C’est le début de la Nakba, la catastrophe, pour plus de 700 000 palestiniens réfugiés dans les pays limitrophes et dont bon nombre des villages sont aujourd’hui ensevelis sous des hectares de forêts, comme pour effacer leurs traces.
Enjeux contemporains
Aujourd’hui, l’enjeu principal réside dans la reconnaissance de deux peuples, l’un Juif, l’autre Arabe, de leur héritage et de leurs souffrances.
Ici, la question porte davantage sur l’appartenance à un peuple que sur l’appartenance à une religion. Israéliens, palestiniens, juifs, chrétiens, musulmans, athées : toutes les personnes que nous avons rencontrées, quelles que soit leurs convictions, sont avant tout désireuses de trouver des solutions pour concilier les opinions dans chacune de leur communauté. Car si le conflit existe bien entre deux peuples, les divergences sont d’abord exacerbées au sein mêmes de ceux-ci. Nombre des initiatives que nous avons rencontrées sont ainsi intra-communautaires avant d’être inter-communautaire, à l’instar de l’Organisation Wi’Am à Bethléem qui œuvre à la cohésion au sein de la société palestinienne. Pourtant, la conciliation des passions n’est pas une mince affaire : lors de notre rencontre avec une membre d’InterPeace, il nous ait apparu très claire, que l’écoute, aussi grande soit-elle, ne permet pas forcément de trouver une solution rapide ni même durable sans qu’elle soit réalisée par des actions concrètes et des concessions de chaque côté.
Par ailleurs, la situation s’accompagne d’un phénomène propre à la mondialisation et à la rapidité des réseaux sociaux : l’importation du conflit et l’appropriation des souffrances. Les mouvements les plus virulents, tant pro-israéliens que pro-palestiniens se trouvent très souvent en dehors des frontières Israélo-palestiniennes. Si certains sont des soutiens pour accompagner la résolution du conflit, d’autres ne font que créer des situations conflictuelles dans des pays lointains (ex : altercations entre des cortèges pro-israéliens et palestiniens à Paris en 2009).
Bien heureusement, les nombreuses rencontres que nous avons faites, tant avec les israéliens que les palestiniens, témoignent de tout autre chose : La dignité et le sang-froid dont ils font preuves sont des plus remarquables dans un tel contexte et les actions qu’ils mènent en conséquence pavent un chemin de pierres solides pour un futur construit à quatre mains.
L’Education, une solution durable pour la reconnaissance et la conciliation des mémoires
Comme pour le Liban, la Bosnie Herzégovine ou encore Chypre, l’enseignement de l’histoire à l’école est un enjeu crucial pour le futur des deux pays. Car, quelle que soit la forme que prendra la résolution finale du conflit, il va falloir panser les blessures, d’un côté comme de l’autre.
En 2006, le Conseil des Institutions Religieuses de la Terre Sainte a initié une grande étude sur les manuels scolaires palestiniens et israéliens du CP à la terminale. Tous les manuels, qu’ils soient destinés à une école privée, publique, laïque, orthodoxe (etc.) ont été passés au crible. L’étude, menée par deux chercheurs Israélien et palestinien, s’est avérée particulièrement rigoureuse et fructueuse. Si les ouvrages palestiniens et ultra-orthodoxes semblent faire preuve de plus de partialité, les ouvrages israéliens s’orientent vers davantage d’autocritique. En effet, les ouvrages des premiers, bien que factuellement vrai, sont parfois tournés de telle sorte qu’ils inspirent davantage de haine et d’angoisse. Côté palestinien, les ouvrages ne mentionnent que très rarement le lien de causalité entre la Shoah et la création de l’Etat d’Israël. Les chiffres les plus frappant concernent également la représentation du monde par les cartes : 58% des ouvrages palestiniens publiés depuis 1967 ne font aucune mention d’un Etat d’Israël, le pendant Israélien atteignant 65% des manuels. En tête de ce déni cartographique de l’autre, on retrouve les ouvrages ultra-orthodoxes qui, à plus 95%, ne font aucunes références aux territoires palestiniens…
C’est en ce sens que notre rencontre avec Eva Halahmi, du Réseau éducatif Tali nous a donné énormément d’espoir. Cette organisation Israélienne propose, aux écoles partenaires, des programmes scolaires permettant à chaque élève de sentir sa place dans une population israélienne mêlant juifs et arabes, en apprenant, à la fois sur leur propre identité et celles des autres mais aussi sur l’Histoire qui les lie. En Palestine, la précarité des moyens oblige à mobiliser davantage d’énergie au travers de l’éducation populaire. Les organisations culturelles comme Yes Theater, à Hébron, permettent aux jeunes de sortir de leur quotidien en mobilisant de nouveaux outils et moyens d’expressions. La troupe de théâtre aborde ainsi de nombreux sujets, tant sur le conflit israélo-palestinien que sur le quotidien de jeunes gens et leurs combats intérieurs : un espace d’extériorisation donnant la chance aux jeunes d’être autre chose que ce qu’on attend d’eux. C’est ainsi que l’organisation Israélo-Palestinienne de jeunesse Saddakah-Reut, littéralement « amitié » en arabe et hébreu, s’engage au quotidien pour sensibiliser sur les récits de chacun, libérer la parole, permettre les échanges et surtout l’action collective.
Quatre sensibilités et convictions face au défi de la coexistence
Notre périple en Israël et Palestine nous a mis, plus que n’importe quel autre pays, face à nos propres préjugés et appréhensions.
Sami et Bettina ont vécu une expérience éprouvante. Souvent assimilé à la Palestine en tant que musulman, ou à Israël en tant que juive, chacun a dû faire preuve de recul pour profiter pleinement du séjour et de l’étude qui l’accompagnait. Sami a pris conscience des raccourcis qu’il entendait depuis des années au sujet de ces deux peuples et de l’instrumentalisation dont certains font usage. Foulant pour la première fois le sol de la Mosquée Al Aqsa, il a pu vivre un moment spirituel exceptionnel qu’il gardera près de son cœur. Bettina mettait enfin les pieds dans ces régions « défendues » pour se retrouver face à une réalité dont elle n’avait pas pleinement connaissance et des récits qu’elle n’avait encore jamais entendu. Lors de notre séjour à Jérusalem, nous avons été accueilli toute la semaine à la Maison d’Abraham. Perchée sur les hauteurs de Jérusalem Est, la maison, portée par les petites sœurs des pauvres, a été pour Eloi un réel refuge, un lieu où il se sentait chez lui, à la maison. Dans un tel contexte, Bénédicte a dû batailler pour ne pas rapidement assimiler Jérusalem, ville d’histoire et d’héritage sans égal, à un simple carrefour de guerre des civilisations bâti sur les conquêtes.
C’est ici que le cœur de nos convictions s’est réellement exprimé, à Jérusalem, et c’est aussi ici que nous avons vécu certains de nos plus beaux moments d’équipes, étrangement uni dans nos désaccords et guidés par notre envie profonde que chacun se sente bien.