Ce matin, on avait rendez-vous avec le premier conseiller de l’ambassade de France au Monténégro. Après une nuit climatisée et des bonnes douches, on était dans de bien meilleures dispositions qu’à notre arrivée pour découvrir la ville : on a donc décidé d’y aller à pieds. Ça nous a donné l’occasion d’explorer le nouveau centre-ville, plus moderne et plus dynamique que le quartier dans lequel on est arrivés hier.
Après deux heures à discuter du contexte du pays, le conseiller a appelé un ami pour qu’il vienne nous témoigner de son expérience de serbe orthodoxe au Monténégro. Il nous a raconté qu’il travaillait avec un musulman dans son restaurant, et lorsqu’on lui a demandé si son collègue était libre de pratiquer sa religion, de faire ses prières ou d’avoir des jours fériés, notre question lui a semblé absurde tellement c’était une évidence pour lui. On lui a expliqué qu’en France ce n’est pas toujours le cas et il a eu l’air très surpris. L’entretien était vraiment différent de ceux menés jusqu’à maintenant : en Bosnie, l’interreligieux est un enjeu que tout le monde perçoit, dans un pays qui sort de la guerre entre des ethnies qui recoupent des communautés religieuses. Au Monténégro, l’interreligieux est pratiqué au quotidien (lundi, les orthodoxes étaient invités à fêter l’Eid avec les musulmans par exemple) mais n’est pas du tout conscientisé. Nos questions sur les pratiques ou les expériences interreligieuses n’ont pas l’air d’avoir de sens ici. Les plus grosses tensions liées à la religion qui existent sont intra-religieuses, au sein de la communauté orthodoxe : certains revendiquent le développement d’une église autocéphale monténégrine et d’autres, attachés au pope de Serbie, ne la reconnaissent pas.
Monténégrins, Albanais, Kosovars : défiance et préjugés
Sur le chemin du retour, on est entrés dans une grande cathédrale orthodoxe : une première pour Floraine et Abderrahim qui ont été impressionnés par le lieu ! La chaleur est vraiment écrasante ici, plus humide qu’à Mostar. Du coup, toute la ville est ralentie et l’après-midi il n’y a vraiment personne dans les rues. On s’est donc adaptés au rythme local en rentrant profiter de la clim jusqu’au soir où nous sommes repartis à la rencontre de Petar, qui travaille sur la coopération entre les monténégrins, les albanais et les kosovars. Il nous a emmenés au bord de la rivière, où on a pu continuer d’être dévorés par les moustiques sur les quelques centimètres de peau qu’il nous restait. Petar nous a parlé de mémoire, de patrimoine, d’humour, d’Europe… Pour lui, le Monténégro est écartelé entre les influences de grandes puissances culturellement très éloignées : la Russie pour les orthodoxes, la Turquie pour les musulmans, l’Europe et le Vatican pour les catholiques.
Il expliquait tous les rapports géopolitiques actuels en revenant à l’histoire, avec beaucoup d’honnêteté et de rigueur intellectuelle. Quand on lui a dit que c’était avec cette démarche qu’on avait l’habitude de travailler sur la déconstruction des préjugés à Coexister, il nous a partagé ceux qui existent ici sur les albanais : certains monténégrins refusaient pendant un temps de leur acheter de la nourriture, parce qu’ils se nettoient avec de l’eau au lieu du papier après être allés aux toilettes et que l’hygiène de leurs mains était remise en question. L’idée s’est étendue et aujourd’hui il y a une croyance répandue selon laquelle les albanais seraient sales. Encore un bon exemple de la manière dont les préjugés s’ancrent et se développent à partir de petits faits historiques ou culturels !
SOS nos cerveaux surchauffent
Sur le chemin du retour, on discute de nos impressions. C’est le second pays de notre tour du monde, et on se rend compte que c’est difficile de changer de contexte : on a encore un peu la tête en Bosnie, il nous faut du temps pour changer de cadre mental. Mais c’est un pays frontalier et notre expérience à Sarajevo et Mostar nous aide à comprendre certains enjeux présents ici, et puis on commence déjà à nous parler du Kosovo où nous irons juste après. On est contents d’avoir choisi 3 pays des Balkans : les pays de la région sont vraiment très liés, culturellement et historiquement, et on sent que les questions inter-communautaires ne recoupent pas les frontières nationales. Bref, aujourd’hui encore on s’est fait quelques nœuds au cerveau en essayant de comprendre les liens entre ethnicités, nationalismes, identités et religions dans la région, mais le bon burek de ce soir va nous aider à faire passer tout ça !
Adèle