Le Liban, c’est un mariage compliqué. De ces 4 millions et demi d’habitants, une grande majorité est chiite et représente une petite moitié de la population, suivie par son quart sunnite et ses 20% de chrétiens, ainsi que par ses 7% de druzes et ses 3% d’alaouites. Ces 5 grandes appartenances religieuses sont complétées par d’autres minorités (comme les juifs qui sont officiellement 500) et sous-divisées en courants politiques pour former 18 communautés distinctes à identité policito-religieuse.
La diversité libanaise n’est pourtant pas unie. Un regroupement géographique s’opère par appartenance religieuse principalement: les lignes de démarcation de la guerre civile demeurent effectives à Beyrouth, à l’image de la répartition par région dans le pays. Ce communautarisme a donné lieu, sous mandat français en 1926, au Pacte National qui assure à chaque identité sa représentativité proportionnelle au gouvernement. Au sein même de ces communautés demeurent pourtant des divisions: le Liban est sans président depuis le 25 mai 2014 puisque les maronites auxquels il revient d’élire le chef d’Etat n’ont pas réussi à s’entendre. A la discordance de ces voix s’ajoute la présence croissante des réfugiés dans le pays, qui viennent afficher aux frontières le logo de ”l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés” flanqué sur leurs milliers de tentes. Ces immigrants syriens et palestiniens constituent aujourd’hui un nouveau tiers de la population du Liban. L’unité nationale est donc sectionnée mais est revenue deux fois en force depuis 2005 sous la forme de manifestations: contre la présence des militaires syriens en 2005 et, lors de notre passage en 2015, contre l’insalubrité urbaine suite à l’arrêt total du ramassage des poubelles dans les villes. Ces deux démonstrations sont l’exemple rare de ces causes qui transcendent politique et religion. Les classes politiques du pays dans leur ensemble sont aujourd’hui décriées comme corrompues, inertes et obsolètes. Déconnectée, désillusionnée, la jeunesse est de plus en plus nombreuse à partir du pays, pays qui compte aujourd’hui une population plus grande hors de ses frontières qu’en son intérieur.
Nous avons rencontré la fondation El Makassed, fondation musulmane sunnite cherchant à éduquer avec les valeurs de la religion, et l’une des plus anciennes du Liban. Elle organise régulièrement des rencontres entre élèves chrétiens et élèves musulmans, qui tissent des liens par le naturel de leurs échanges. Dans un contexte où l’éducation comme la distribution géographique ont une teinture religieuse et politique, c’est une simple rencontre de l’Autre qui n’est que trop inhabituel dans leur quotidien. De la part d’une institution aussi prestigieuse et respectée, c’est aussi prendre l’initiative de travailler à la coexistence active au niveau institutionnel par et pour la jeunesse dans la société civile.
Sur le même thème de la jeunesse, l’association Himaya agit ”pour l’innocence en danger” au service de et contre l’abus des mineurs. Dans un pays où il est demandé à un entretien d’embauche de renseigner sur sa religion, Himaya est aconfessionnelle. Elle traite de manière égalitaire musulmans comme chrétiens, alaouites comme druzes.. De par son activité, elle place en centre de traitement des jeunes de toutes convictions, qui sont amenés à vivre ensemble pendant des périodes prolongées. Kim Hishmé, directrice du centre, nous explique observer dans un premier temps un réflexe: aller vers celui qui est de la même religion que lui. “Mais au fur et à mesure que nous fêtons les principales célébrations religieuses des uns des autres, qu’ils se découvrent, les barrières tombent.”
Début septembre 2015, les manifestations ont réuni le pays, jeunes et moins jeunes, sous une identité commune libanaise. Ils ont demandé le départ du gouvernement actuel. Il reste à mobiliser un nouveau corps politique au service d’un véritable vivre ensemble. La Fondation Adyan travaille activement dans ce sens aux côtés du ministère de l’éducation pour repenser les programmes d’éducation civique et morale.