Après deux semaines passées à rencontrer des libanais et étudier le paysage interconvictionnel ainsi que la complexité de l’héritage historique du pays, notre compte rendu n’en est que plus intéressant à rédiger.
Quelques éléments de contexte
Le Liban se distingue par sa constitution instaurant un système multiconfessionnel permettant la représentativité des trois communautés majeures: le président doit être chrétien maronite et les premier ministre et président de l’assemblée nationale, respectivement musulman sunnite et musulman chiite. Depuis la crise des réfugiés palestiniens en 1967, à la suite de la Guerre des Six jours, la balance démographique s’incline progressivement en faveur des musulmans sunnites. Aujourd’hui ces derniers constituent la majorité absolue, bien que les palestiniens n’aient pas le droit à la naturalisation. La guerre civile (1975-1990), étroitement liée à la question palestinienne ainsi qu’au désir d’une partie des Libanais de s’allier au projet d’une Grande Syrie, a laissé des traces indélébiles encore très vives dans les mémoires. Le Liban est une véritable caisse de résonnance des conflits du Moyen-Orient et est au carrefour d’une histoire et d’une géographie complexes, avec, en sous bassement, un devoir de protection de toutes ses communautés et de conciliation des revendications propres à chacune.
Le paysage interconvictionnel
Le Liban dénombre pas moins de 16 confessions reconnues qui prennent davantage la forme d’identités culturelles que religieuses. Sur les registres d’état civil, les citoyens doivent cocher une case selon la communauté à laquelle ils appartiennent, ou, plus simplement, celle dans laquelle ils sont nés. Un athée doit donc signifier son identité culturelle et non de conviction. En terme de statistiques il est donc compliqué de déterminer le nombre d’athées, d’agnostiques ou de personnes appartenant à un groupement confessionnel non reconnu. Par ailleurs, les mariages ne peuvent se faire que dans le cadre religieux étant donné que le mariage civil n’existe pas. Ainsi, les couples ne désirant pas se marier religieusement se retrouvent souvent à prendre l’avion pour Chypre, non loin de leur terre, où se développe un réel marché matrimonial adressé non seulement aux Libanais mais aussi aux Israéliens non-croyants.
Malgré la richesse du paysage interconvictionnel, il n’est reste pas moins que les initiatives de rapprochement qui pourraient en découler sont plutôt minimes par rapport au potentiel du pays.
La jeunesse libanaise, entre patriotisme et soif de changement
Si le Liban compte 4 millions d’habitants sur ses terres, la diaspora Libanaise représente plus de 8 millions de déplacés dans le monde. La jeunesse libanaise suit donc un mouvement qui tend à étudier et à s’installer dans un ailleurs où ils auraient davantage d’opportunités. Pourtant, chez les jeunes que nous avons rencontrés durant notre séjour, les ambitions semblent être toutes autres. Pour eux, ce pays qui a tant souffert, mérite qu’on s’engage pour son évolution. Nombre d’entre eux souhaitent mettre leur expérience universitaire à l’étranger au profit de leur pays. Michelle, avec qui nous nous sommes entretenus lors de notre rencontre avec la Fondation Adyan, a fait ses études à Londres puis a finalement décidé de revenir au pays pour se concentrer sur la coopération interconvictionnelle. Fadweh, étudiante en journalisme, a travaillé sur la réalisation d’un documentaire portant sur la communauté juive du Liban: “Voices without Faces” retrace le quotidien des juifs libanais, notamment depuis la guerre israélo-libanaise. Dans le contexte actuel, cette communauté ne se montre que très peu, préférant éviter tout amalgame entre leur foi et Israël.
Cette jeunesse croit au potentiel du Liban et à la force qu’ils dégageraient s’ils en savaient plus les uns des autres. Ils luttent contre un système encore très féodale où la transmission de pouvoir dans les communautés se fait souvent de famille en famille et remettent en question le fait d’élire leurs représentants en fonction de leur confession et non de leurs compétences.
Une coopération interreligieuse renforcée par des figures engagées
Si l’interconvictionnel est l’apanage de la jeunesse, l’interreligieux est affaire de la génération ayant grandi pendant la guerre civile. Ziad Fahed, professeur à l’université Notre Dame à Beyrouth, est engagé depuis des années pour une coopération active entre les différentes communautés. “Au lieu de maudire mes ancêtres d’avoir laissé un pays en guerre, j’essaye de construire un monde meilleur pour mes enfants”. Ziad propose des camps de jeunesse pour apprendre à déconstruire les préjugés ainsi qu’une émission de télé pour mettre en lumière les acteurs de paix d’aujourd’hui et de demain. S’il en est là aujourd’hui, Ziad a dû combler ses propres failles et notamment lutter contre l’idée selon laquelle la violence est une réponse et une solution à tous les problèmes. Cette idée, qu’il a cultivé pendant sa jeunesse, il tente de la déconstruire auprès de son fils Gabriel qui, lui aussi, a dû fuir la guerre en 2006, alors qu’il n’était qu’un enfant. Mohamed Nokkari, juge de droit commun et Cheikh, est à l’origine de la consécration de la fête mariale de l’Annonciation comme fête nationale commune aux chrétiens et musulmans. Une belle occasion de rassembler les deux communautés autour d’un symbole fort d’amour et de fraternité.
Nous voilà donc en route pour la petite île de Chypre, où nous espérons peut-être croiser quelques jeunes couples libanais s’unissant pour la vie par les liens civils du mariage 😉