Fin décembre 1999, une mère de saint du Candomblé est décrite dans un magazine néo-pentecotiste publié à deux millions d’exemplaires comme un démon utilisant la sorcellerie contre la société brésilienne. À la suite de cet article, son terreiro subit de nombreuses attaques, et elle est elle-même agressée jusqu’à mourir d’une crise cardiaque. Selon Rafael Soares de Oliveira de l’association Koinonia, cette mère de saint est morte de l’intolérance religieuse et plus globalement du racisme profond à l’égard des religions afro-descendantes.La proportion de la population brésilienne qui se réclament de religions afro-descendantes varient seulement entre 0,3 et 3% selon les différentes statistiques, pourtant les violences que ces populations subissent, défraient la chronique et bousculent un paysage religieux brésilien majoritairement chrétien. Si la Constitution brésilienne de 1891 garantit la liberté de culte et consacre le principe de séparation des Églises et de l’État, certaines religions afro-descendantes étaient interdites jusqu’en 1976 comme le Candomblé, parfois tolérées comme l’Umbanda et sont pour la plupart aujourd’hui de plus en plus discriminées et sujettes à des violences. Pourtant, ces religions sont des réceptacles de la mémoire brésilienne de l’esclavage, d’un passé assumé et de la redéfinition de la pluralité de l’identité brésilienne. Si beaucoup de préjugés persistent, personne ne peut nier leur présence et leur impact sur la construction de la cohésion sociale brésilienne.
Comment ces spiritualités nous invitent à interroger les pratiques interreligieuses historiques et bouleversent-elles le paysage religieux brésilien ? De quelle manière leur présence force l’effort de cohésion nationale à prendre en compte l’ensemble des diversités présentes au Brésil ?
Il s’agira d’étudier comment les spiritualités afrodescendantes participent à la reconstruction de l’histoire plurielle de l’identité brésilienne (I) puis d’observer dans quelle mesure l’expérience de racisme que vivent les fidèles met fin au mythe de “coexistence raciale brésilienne” conceptualisé par Gilberto Freyre comme le mythe d’une harmonie parfaite entre les descendants de portugais, d’esclaves et des peuples natifs. Enfin, il conviendra de comprendre si ces religions peuvent être des pistes de solution pour rendre l’interreligieux plus inclusif et égalitaire (III).
1. Les spiritualités afrodescendantes participent à la reconstruction de l’identité plurielle et de l’histoire brésilienne…
a) Mémoire et résistance culturelle noire
“L’esclavage restera longtemps la caractéristique nationale du Brésil”, il est évident que cette formule de l’abolitionniste Joaquim Nabuco en 1900 est encore d’actualité aujourd’hui. En effet, le Brésil porte encore les marques de l’esclavage, lié à la colonisation portugaise, qui fut en vigueur pendant près de trois cent cinquante ans jusq’à son abolition en 1888. Entre 3,5 millions et 4 millions de personnes esclaves auraient été amenées de force au Brésil, soit le plus grand nombre dans toutes les Amériques. Les personnes réduites à l’esclavage sont baptisées dès leur arrivée au catholicisme et il leur est imposé un système de soumission chrétienne. Malgré ces conversions massives, les personnes esclaves portent avec elles leur traditions spirituelles ancestrales venues de diverses tribus et peuples comme les Yorubas du Nigeria. Les religions afro-descendantes viennent donc de là et imprègnent l’identité brésilienne à plusieurs égards.
De l’abolition de l’esclavage à aujourdhui, les éléments de la culture africaine se sont plus ou moins imbriqués dans la culture brésilienne mais la reconstitution mémorielle la plus aboutie est définitivement l’existence actuelle des religions afro-brésiliennes. Si le Brésil reste la plus grande nation catholique du monde, ce mécanisme de reconstitution mémorielle cherche à donner du sens à la mémoire africaine au Brésil, une mémoire de réappropriation de la souffrance. “La religion traditionnelle, reconstituée à l’Ouest de l’Atlantique, devint la source d’une mémoire créée au présent pour le passé, dans un parcours inversé”, cette formule de Reginaldo Prandi dit à quel point le besoin d’ancrer la pluralité de la société brésilienne a trouvé ses racines dans la mémoire noire qui a perduré à travers les religions de matrices africaines. Andre, militant interreligieux des premières heures, parle sans cesse de la terre mère africaine, comme du berceau de la spiritualité brésilienne, alors qu’il n’a lui-même aucune racine africaine. Ainsi, les brésiliennes et brésiliens qui reconnaissent la pluralité du Brésil, quelque soit leur religion, reconnaissent comme source essentielle les spiritualités afro-descendantes. Cette reconnaissance devient alors un point d’enracinement commun dans les relations interreligieuses.
b) Le syncrétisme, outil de préservation des pratiques afro-descendantes
Si la religion candomblé est un marqueur de la résistance culturelle des Noirs, c’est aussi l’adaptation de la pratique religieuse afro-descendante aux autres religions présentes au Brésil qui leur permet de préserver leurs traditions et de les faire perdurer. Ainsi, Jésus Christ fut identifié comme Oxalá (Dieu de la création) tandis que certains saints furent assimilés à d’autres entités divines. Plusieurs personnes rencontrées dans le cadre du programme InterFaith Tour se présentent comme “spiritiste, catholique et umbanda” ou encore “chrétien, candomblé et déiste”. Le syncrétisme est dans la norme, et l’interreligieux brésilien peut également être utilisé comme un lieu de rencontre pour que chaque personne puisse s’imprégner des différentes religions et spiritualités, se les approprier et les intégrer à leur propre identité, ce qui est très différent de l’image du syncrétisme dans les mouvements interreligieux européens notamment où la délimitation entre les religions est célébrée pour construire une rencontre dans une diversité assumée. L’association Coexister France en est l’exemple, puisque le syncrétisme est même en contradiction avec le concept de coexistence active, philosophie et pédagogie d’action de l’association.
Né dans les années 1980, un mouvement de “désyncrétisation”, notamment parti de Salvador de Bahia, souhaite cependant renforcer les racines exclusivement africaines de ces spiritualités afin de lutter aussi contre l’invisibilisation des luttes de reconnaissance de la mémoire noire, des luttes contre une histoire hégémonique brésilienne et des luttes contre le racisme. Se pose alors une question, en effaçant ce syncrétisme très ancré aujourd’hui, vers quelle tradition spirituelle faut-il alors se tourner ? “La tradition afro-brésilienne, produit du brassage de cultures africaines, européennes et amérindiennes, ou la « tradition africaine » ? Et dans ce dernier cas, de quelle tradition africaine s’agit-il ?”.
Le syncrétisme assumé est également une manière d’accepter son identité brésilienne pleine et entière, comme une peur de toute dislocation identitaire. Ainsi, puisque “être brésilien” c’est être catholique, alors il est possible d’être catholique et de vouer un culte aux orixas (des esprits ancestraux protecteurs).
Les mouvements mémorielles noires du XXe siècle sont venus bousculés ces affirmations, et ont poussé les tenants du syncrétisme à se réinventer, il ne s’agit plus seulement de communautés noires, descendantes d’esclaves qui croient en Jésus Christ et la vierge Marie, mais également d’un partie minoritaire de la population brésilienne de multiples origines qui incorporent à leur pratique des éléments spirituels de matrice africaine. Dans la pratique de la religion Umbanda, il n’est pas rare que les fidèles soient majoritairement blancs dans les terreiros autour de Rio de Janeiro. Ainsi, l’ancestralité est vue autrement. Le lien avec l’Afrique originellement inné peut aujourd’hui être aussi acquis.
c) Réconciliation de l’identité brésilienne avec toutes ces histoires
Au travers de ces éléments mémoriels et de ces religions qui ont perduré, le Brésil n’est plus seulement la plus grande nation catholique du monde ou une ancienne colonie portugaise, le Brésil est reconnu aussi comme le premier pays de population noire hors d’Afrique. La société embrasse sa diversité, la voit et se l’approprie. À l’aide des mouvements des années 1960, 1970, “ce qui antérieurement était considéré comme exotique, différent, primitif, est devenu habituel, proche, contemporain”. La culture minoritaire fait alors pleinement partie de la culture collective.
La société brésilienne fête tous les ans le « Dia da raça » – le Jour de la race le 12 octobre. Certaines villes célèbrent également le jour de la “conscience noire” le 20 novembre commémorant la mort d’un martyr de l’esclavagisme, ayant formé un quilombo. Ces célébrations révèlent une volonté de spécifier la diversité du pays et en faire des moments forts de l’année politique brésilienne.
Mae Celina, une mère de saints candomblé de Rio de Janeiro, a travaillé longuement sur sa perception de l’ancestralité et affirme aujourd’hui que toute personne peut se reconnaître spirituellement dans les religions afro-descendantes, quelque soit son origine. Le mythe et le rituel afro-descendants doivent pouvoir faire sens pour toutes et tous. Ainsi, l’ouverture de ces religions, ont permis à toutes brésiliennes ou brésiliens d’affirmer des origines africaines mais également des origines natives d’Amazonie. Pour Mae Celina, il n’est pas possible de prôner la paix et d’affirmer que sa propre religion n’est pas accessible aux autres.
S’il est compliqué de nier le croisement culturel et cultuel qu’est le Brésil aujourd’hui, la construction mémorielle s’oppose à un mur à plusieurs égards. Cela rappelle que ce “besoin d’identité par rapport à un passé originel, s’impose comme une nécessité car sa réalité sociale, pour des raisons historiques, n’est pas encore arrivée au terme de son combat.”
2. …Cependant, l’expérience de racisme que vivent ces religions mettent en lumière la fin du mythe de “coexistence raciale brésilienne”
a) Racisme et violences à l’égard des fidèles et des pratiques candomblé
Rafael de l’organisation Koinonia, association oecuménique et interconvictionnelle brésilienne, partage lors de l’entretien des chiffres sur les violences liées à l’intolérance religieuse que peuvent subir les personnes afro-descendantes : tous les deux jours, une personne peut mourir ou subir des violences physiques ou morale en raison de l’intolérance religieuse. Le Brésil connaît donc une recrudescence de la violence à l’égard des cultes de matrices africaines puisque 70% des cas d’intolérance religieuse concernent les fidèles de religions afro-descendantes. Dans la région de Rio de Janeiro, plus de 200 lieux de culte auraient subi menaces et attaques armées et plusieurs d’entre eux ont été contraints de fermer leur porte. Ainsi, la culture populaire continue à plusieurs égards de voir le Candomblé comme “quelque chose de honteux, de marginal et d’inférieur, associé aux esclaves et à la magie noire” comme l’explique Reginaldo Prandi, sociologue spécialiste des religions afro-brésiliennes.
La montée de ces persécutions est également liée à la propagation importante d’un néo-pentecôtisme violent et extrême, notamment de l’Église universelle du Royaume de Dieu, qui se revendique de la “théologie de la guerre spirituelle”. Prenant la forme de véritables croisades, les conversions massives au néo-pentecôtisme inquiètent considérablement les acteurs et actrices de paix rencontrés dans le cadre du programme InterFaith tour en octobre 2021. Sans exception, les personnes interrogées, prônant habituellement une curiosité vive vis-à-vis des autres convictions, voient cette avancée comme une menace importante d’un statu quo déjà fragile de la cohésion sociale brésilienne, d’autant plus que le gouvernement de Jair Bolsonaro leur a donné une importante légitimité politique.
Les violences comprennent systématiquement des menaces à main armée, forcent les leaders religieuses à détruire elles-mêmes les éléments sacrés du terreiro. Parfois, ces violences vont plus loin jusqu’à jeter une interdiction pure et simple de pratiquer le culte. Par exemple, au sein de la favela d’Israël au sein de laquelle 130 000 personnes vivent sous l’emprise du trafiquant Álvaro Malaquias Santa Rosa, connu sous le nom de Peixão, les terreiros sont interdits et il n’est pas possible de s’habiller en blanc.
b) Fin du mythe de la coexistence raciale brésilienne
Le Brésil est depuis la fin de l’esclavage décrit comme une société où se vit une coexistence raciale apaisée. Il est même donné en exemple par rapport aux racisme institutionnel et aux mesures ségrégationnistes aux États-Unis et en Afrique du Sud. Ce paradigme serait dû au fait de la spécificité de la colonisation portugaise. Cette coexistence raciale serait le “fruit d’un métissage présenté comme consenti entre femme noire esclave et maître blanc” comme l’exprime Gilberto Freyre en 1936 pour expliquer ce mythe. Cette démocratie raciale est le résultat d’un système de mesures et de lois qui assurent le fonctionnement de la société multiethnique et qui insiste sur une harmonie entre les populations noires, blanches et indigènes. En effet, la constitution brésilienne de 1988 accorde le droit de vote aux personnes analphabètes (majoritairement noires), inscrit la reconnaissance du droit de propriété aux résidents des quilombos. Les lois qui vont suivre élargissent les peines encourues pour les actes discriminatoires relatifs à la race, la couleur, la religion, l’ethnie ou l’origine nationale, mettent en place des quotas dans les universités publiques et intègrent l’histoire de la présence africaine dans les programmes scolaires.
Tout ce paradigme et cette mise en place institutionnelle a joué littéralement le rôle d’un aveuglement validant la perpétuation du pouvoir blanc au Brésil. En effet, ce paradigme est complètement remis en question d’après l’ensemble des entretiens réalisés dans le cadre d’InterFaith Tour en octobre 2021, principalement par le racisme structurel qui imprègne les inégalités sociales. Le lien entre racisme structurel et inégalité sociale est bien là : d’après les chiffres de l’IBGS, en 2017, ce sont 74 % de noirs ou métis parmi les 10 % les plus pauvres de la population, en 2019, le salaire moyen d’une personne blanche était de 3617 reals, celui d’un Noir de 1666 reals, et celui d’un Métis de 1690 reals. Ce sont même 5000 Afro-Brésiliens tués par les forces de l’ordre en 2019 et les chiffres sont tout autant évidents sur l’espérance de vie, le niveau d’étude et le taux d’analphabétisme.
Ainsi, il est reproché à ce mythe de la démocratie raciale, qui est aussi un rêve pour la société brésilienne, d’avoir tenu à l’écart toute critique du racisme structurel au Brésil. Si le racisme brésilien n’a peut être rien d’institutionnel, il est de fait ancré dans un inconscient collectif historique. Ainsi, le racisme violent que peuvent subir les religions afro-descendantes, peut permettre de mettre en lumière un racisme que la sphère politique souhaite cacher.
c) Rassemblement interreligieux le plus important : le 21 janvier
Il est difficile de trouver des méthodes de lutte contre le racisme institutionnel. Chaque structure de la société se renvoie la responsabilité ou ne le reconnait tout simplement pas à commencer par les institutions publiques. Les mouvements interreligieux au Brésil trouvent alors leur fenêtre d’opportunité en se mobilisant contre l’intolérance religieuse et les violences qui lui sont liées. Tous les 21 janvier, plusieurs communautés religieuses, organisations et mouvements interreligieux se réunissent pour dénoncer, condamner et lutter contre l’intolérance religieuse. Si l’événement a pour objectif de lutter contre toutes les formes d’intolérance religieuse, il est principalement concentré sur les violences que subissent les spiritualités afro-descendantes. Les différentes structures qui manifestent en profitent alors pour élargir leur spectre d’engagement en luttant contre le racisme institutionnel et en mettant en lumière la mémoire des cultes de matrices africaines.
Il est intéressant d’observer qu’une cause peut en cacher une autre. Par exemple, si les mouvements interreligieux se sont constitués pour la plupart à la suite du sommet de la terre en 1992, l’écologie et la protection de la terre ont permis une mobilisation pour les droits des personnes indigènes, la protection de l’Amazonie non seulement comme poumon de la planète mais également comme lieu de vie de plusieurs peuples natifs du Brésil. Ainsi, si les manifestations contre l’intolérance religieuse se concentrent sur des religions qui concernent entre 0,3% et 3% de la population, elles élargissent leur champ en luttant contre un racisme institutionnel qui concerne plus de la moitié de la population brésilienne.
Si tous les mouvements interreligieux sont conscients de la montée des violences et de l’intolérance envers les fidèles des religions afro-descendantes, il y a encore un large chantier de création de liens sincères entre les populations. Mae Celina, explique dans le cadre de notre entretien, qu’elle était toujours présente à ces manifestations, rassemblements contre l’intolérance, mais qu’elle ne pouvait pas compter sur des amitiés réelles et fortes avec des personnes d’autres religions. La cause tient selon elle des préjugés et des perceptions négatives largement répandues dans la société brésilienne concernant les pratiques du Candomblé.
3. … Elles peuvent pourtant être une solution pour rendre l’interreligieux plus inclusif et égalitaire
a) Le matriarcat historique des religions afro-descendantes
Ces religions de matrice africaine ont un fonctionnement bien différent du christiannisme majoritaire au Brésil. Elles peuvent aussi être des terreaux d’inspiration et des rappels à l’inclusion pour une société pétrie de préjugés et pour l’interreligieux à plusieurs égards.
Par exemple, lors d’une visite de la mosquée de Sao Paulo en octobre 2021, première mosquée d’Amérique Latine, le responsable des relations extérieures raconte un événement interreligieux organisé en mémoire des victimes brésiliennes du covid 19. Cet événement rassemblait des responsables de culte de différentes religions qui ont pris la parole autour d’une sculpture représentant l’âme brisée du Brésil après tant de morts. Lors de ce rassemblement, les femmes présentes étaient principalement des cheffes de culte Candomblé et l’Umbanda, ce qui redéfinit le paysage interreligieux abrahamiques normé très majoritairement masculin.
Les religions afro-descendantes sont matriarcales, par ailleurs, le premier terreiro du Candomblé fut fondée par trois femmes, africaines à Salvador de Bahia. Les femmes sont les vecteurs de la résistance mémorielle noire et de la préservation de la culture et du culte de matrice africaine. Ce rôle vient historiquement des Ialodes, nom Yoruba, qui sont des femmes ayant pris part aux rituels religieux comme des communautés secrètes féminines. Ces femmes étaient des leaders à la fois politiques et religieuses et sont l’incarnation de la préservation des savoirs ancestraux par la capacité de transmission.
En intégrant des rituels et des croyances chrétiennes à leurs rites, ces religions de matrice africaine bousculent aussi la notion de disciple de Jésus qui est alors exclusivement féminine. Ces femmes et les collectifs secrets, politiques et religieux qu’elles mettent en place sont des piliers de la critique du patriarcat, de la colonisation mais également de l’hétéronormativité qui prennent leur racines dans les ressources spirituelles noires et indigènes.
b) L’accueil des personnes LGBT au sein du culte
“Les minorités doivent s’intégrer ou tout simplement disparaître”. Ces propos sont tenus par Jair Bolsonaro en février 2017. Le président du Brésil s’adresse à différentes minorités politiques notamment les femmes, les mouvements féministes, les défenseurs de l’environnement, des droits civiques, les mouvements LGBT, les personnes indigènes, les personnes noires (Afro-descendants), et tous ceux qui, même sans y appartenir, défendent ces catégories de la population brésilienne.
Mae Celina l’affirme dans son discours, son terreiro est une maison de soutien aux personnes LGBT, comme il est un lieu d’accueil des personnes en grande précarité et de toutes personnes en difficulté ou détresse personnelle. En se positionnant en en opposition de la montée du mouvement évangélique conservateur et des partisans de Jair Bolsonaro, les cultes afro-descendants accueillent les personnes LGBT en leur sein. Cette reconnaissance des différentes minorités dans les terreiros entre en contraste avec le machisme largement répandu dans la société brésilienne. Ainsi, plusieurs personnes LGBT, discriminées au sein d’institutions religieuses majoritaires au Brésil, se réfugient au sein des terreiros. Elles y trouvent un lieu spirituel où elles sont acceptées, sans jugement.
c) Les dynamiques du soin et de la guérison au coeur du terreiro
Le leadership des femmes et la place des personnes LGBT au sein des cultes afro-descendants ne sont pas les seuls pratiques desquelles l’interreligieux historique pourrait s’inspirer. Une des missions des mae de santo (mères de saints), responsables de culte afro-descendant, est la pratique du soin et de la guérison. En effet, si le terreiro est le lieu de la pratique spirituelle, il est aussi le lieu où chaque personne doit pouvoir trouver du soin, la bonne santé et même de la puissance d’après Mae Celina.
La création du RENAFRO, Réseau National de Religions Afro-brésiliennes, en est la preuve. L’une de leur principale mission est d’accueillir les personnes malades, en détresse spirituelle mais également physique, morale et mentale. Les Mae de Santo accompagnent et conseillent les fidèles de leur culte sur tous les volets de leur vie et en particulier face à leur place dans la société brésilienne.
Cette culture du soin se retrouve à la fois dans l’accompagnement individuel mais également au sein même des cultes. Lors de la cérémonie Umbanda de la casa de perdao dont la responsable est Mae Flavia, une fois la partie cultuelle finie, une conférence d’étude de près d’une heure a eu lieu en rappelant à la fois l’importance de la guérison individuelle et collective mais également les pratiques médiumniques utilisées pour y arriver.
Conclusion
L’étude montre alors que les spiritualités afro-descendantes sont des vecteurs de mémoire et de pratiques ancestrales qui viennent mettre fin à un paradigme de coexistence raciale qui n’existe pas pour proposer une vision du Brésil égalitaire, divers et inclusif qui permettrait de changer les dynamiques interreligieuses établies. Plus de 10 entretiens ont été réalisés par le programme InterFaith Tour en octobre 2021 et les personnes interrogées sont unanimes : si le Brésil répond au défi du racisme et des discriminations envers les religions afro-descendantes, alors le pays saura répondre à l’ensemble des défis politiques liés à la diversité. Cet exemple montre comment l’espoir d’une réconciliation interreligieuse peut avoir un impact massif sur l’ensemble d’une société. Une nuance cependant pourrait être apportée, notamment sur le fait que le syncrétisme pourrait apporter un aspect néo-colonial au sein de ces religions et leur présence au sein de l’interreligieux historique pourrait ressembler à une tokenisation de ces milieux.
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