Sixième étape de notre tour du monde, le Maroc s’est ajouté à notre liste des pays à explorer, quelques jours seulement avant de quitter la Bosnie Herzégovine. Nous devions visiter l’Albanie. Mais pour des raisons logistiques et de temps, nous avons préféré à la place ajouter un second pays à notre liste Maghreb.
Le royaume du Maroc est une monarchie constitutionnelle, qui compte près de 34 millions d’habitants. À sa tête, le roi Mohammed VI, issue de la dynastie alaouite, en place depuis 1666. Il porte le titre de Amir Al Mouminine, le commandeur des croyants. Le pays est de culture berbère et d’influences africaines, arabes et européennes. L’arabe et l’amazighe en sont les langues officielles. Le royaume est à majorité musulmane, il s’y pratique un Islam de rite sunnite malékite. On compte également des minorités chrétiennes et juives.
Dans cette partie du monde, la présence du judaïsme est le fait de deux communautés. L’une millénaire, comptant les juifs berbères de l’Atlas. L’autre remontant au XVIème siècle, qui regroupe les juifs d’Andalousie, aussi appelés Sefaradim, ayant fui les persécutions de la Reconquista. Dans chaque ville où ils s’installent, ils se regroupent dans un quartier dédié aux juifs appelé Mellah.
Lors de notre passage, nous avons croisé le chemin de Chama Mechtaly, artiste peintre. Après avoir découvert dans une partie de ses origines une ascendance juive, elle traverse une crise d’identité qui l’amène au final à revendiquer son patrimoine judéo-amazighe avec détermination. Lorsque le public découvre ses toiles représentant des femmes, elle aime à préciser la judéité des modèles qu’elle peint. Elle nous raconte à quel point les gens sont touchés, lorsqu’ils reconnaissent dans les traits de ces femmes leurs mères, leurs grand-mères. En se réconciliant avec ses héritages multiples, elle participe aujourd’hui à briser au Maroc et au-delà l’ignorance qui entoure souvent l’identité judéo-maghrébine. À travers son art et les figures féminines gardiennes de la culture judéo-amazighe qui l’ont inspirées, loin des portraits orientalistes, elle participe à redessiner la place de la femme dans l’imaginaire collectif, ainsi que son rôle central dans la société et au travers de l’histoire.
À la Bouleteque de Casablanca, centre des musiques nouvelles où différents artistes se croisent, nous rencontrons Kamel Hashkar, réalisateur du documentaire « Les échos du Mellah ». Dans son film, il retrace le parcours de la communauté juive berbère, installée dans la région depuis des millénaires, jusqu’à un exode massif vers Israël dans les années 1960. Ses productions aujourd’hui mêlent acteurs juifs et arabes, comme dans une volonté de réconcilier des identités devenues presque antagonistes, après des siècles de coexistence et de partage territorial, linguistique, culturel, spirituel. Kamel Hashkar invite à penser au delà de son identité. Son film lui a valu de recevoir le prix de la première œuvre lors du Festival national marocain du film 2013.
Après ces découvertes à Casablanca, nous prenons le train pour aller à la rencontre d’Asma Lamrabet à Rabat. Intellectuelle musulmane, elle est devenue en 2011 directrice du centre des études féminines en Islam, au sein de la Rabita Mohammadia des Oulémas, plus haute autorité religieuse du pays. Il y a quelques années, ses travaux l’ont menée en Amérique Latine pendant près de 8 ans. Elle y découvre une autre forme de spiritualité, celle de la théologie de la libération. Elle la définit avec les mots suivants: « Aimer Dieu à travers les pauvres ». Cette expérience interreligieuse la marque profondément. Elle y voit le lien entre les différents monothéismes et même avec l’athéisme dans sa dimension humaniste. Cette notion de défense du pauvre et de l’opprimé teinte son engagement intellectuel d’une détermination qu’elle puise dans son renouveau spirituel. Féministe convaincue, elle travaille aujourd’hui principalement sur la problématique des femmes dans l’Islam. À travers ses conférences, livres et articles, Asma Lamrabet se focalise sur la relecture des textes sacrés à partir d’une perspective féminine.
Nous repartons du Maroc avec la volonté d’y revenir très vite. Dans une société qui oscille entre ouverture et conservatisme, tradition et modernité, nous avons été touchés par ces personnes qui remettent en cause les codes de cette société, pour la questionner et la renouveler. À travers l’art, le féminisme, l’interculturel et l’interreligieux, le Maroc est un pays qu’ils transforment à la force de leur esprit.