Influence de l’Église et organisation sociale au Rwanda
Pays le plus densément peuplé d’Afrique avec une population dépassant les 12,5 millions pour une superficie équivalente à la région bretonne, le Rwanda est surnommé « le pays aux mille collines ».
Anciennement traditionnelle, sa religion majoritaire est aujourd’hui le christianisme, regroupant 57% des rwandais. Bien que la prière aux ancêtres – notamment au dieu Imana – subsiste encore, particulièrement chez la génération des grands-parents, elle ne se dit pas et se pratique cachée. En effet au temps de la colonisation belge dans les années 1920-1960, l’Église catholique diffuse largement les valeurs occidentalo-chrétiennes par le biais de l’éducation, mais aussi en opprimant les religions traditionnelles. Les Allemands, premiers colons du Rwanda à la fin du XIXème siècle, puis les Belges, s’appuient sur les Pères Blancs – missionnaires évangélistes – arrivés avant eux, ainsi que sur l’organisation sociale existante pour asseoir leur administration.
La société rwandaise reposait sur trois groupes: les Hutus, agriculteurs, les Tutsis, éleveurs, et les Twas – population pygmée – potiers de la forêt ou au service des autres groupes. Lorsqu’un Hutu possédait au minimum trois vaches, ils pouvait alors changer de groupe et devenir Tutsi; et si un Tutsi venait s’appauvrir, il devenait Hutu. Tous parlaient la même langue, avaient la même religion monothéiste et partageaient une culture commune. Mais la stratégie colonisatrice a consisté à les diviser en associant la notion de « race » au statut social et en instaurant une hiérarchie dans l’organisation sociale. Les postes à responsabilité en administration étaient ainsi exclusivement réservés aux Tutsis. Ces derniers, minoritaires, étaient imposés comme détenteurs du pouvoir car estimés de race supérieure à celle des Hutus, cantonnés, eux, au rang de cultivateurs. Quant aux Twas, étant considérés comme faisant partie de la forêt, les colons ne s’en préoccupaient pas. Cette ségrégation ethnique et sociale est institutionnalisée à partir de 1930 avec le « fichage ethnique » établi par les belges. En figeant l’origine et l’activité des rwandais sur leur carte d’identité, plus aucune mobilité sociale n’était possible. Les recensements donnaient alors les statistiques suivantes : 85% de Hutus, 14% de Tutsis et 1% de Twas.
Dans les années 1950, l’Eglise catholique, qui contrôle l’enseignement, la presse, les centres de santé et possède de grandes propriétés, craint la potentielle émancipation du chef Tutsi de son joug – et de celui de la Belgique – et décide de prendre le parti des Hutus. Encrée par des années de propagande, la racialisation de la société devient un dogme sur lequel sera fondée la république Hutu, proclamée en 1959 à la suite d’élections organisées par la Belgique et suivant un premier massacre de Tutsis.
1994 : un génocide de proximité
Le Rwanda obtient son indépendance en 1962. Les années qui suivent voient les tensions augmenter et les Tutsis – exilés pour la plupart en Ouganda – s’organiser en Front Patriotique Rwandais (FPR). Ces derniers tentent une prise du pouvoir en 1990 mais leur offensive est repoussée avec le soutien de la France et de la Belgique. Un accord de paix entre les Hutus et les Tutsis est signé en 1993, alors que dès 1992 des milices commencent à être formées et que la propagande nourrit chez les Hutus un racisme anti-Tutsi sans bornes. C’est l’attentat perpétré en avril 1994 contre le président hutu Juvénal Habyarimana qui déclenchera l’exécution méthodique et systématique des Tutsis. Le génocide durera 100 jours, jusqu’au 4 juillet 1994, faisant entre 800 000 et 1 million de victimes Tutsis selon les sources.
Le système judiciaire s’avérant lent et inefficace dans la reconstruction sociale du pays, des tribunaux civils, dits « Gacaca » (prononcé « Gatchaça »), sont mis en place à partir de 2001. À l’origine de la fulgurante rapidité avec laquelle le pays s’est relevé, ils confrontent victimes et bourreaux face à des jurés villageois. Les familles sont ainsi amenées à arbitrer sur leur déchirement en prenant la communauté à témoin.
Le génocide rwandais s’apparentait en effet à une guerre civile. Avec le temps, les Hutus avaient intériorisé une peur et une haine telles que les massacres étaient commis à la machette entre parents, enfants, amis, voisins, dès lors qu’une affiliation aux Tutsis était reconnue ou soupçonnée.
Un processus de réconciliation toujours en cours
Un peu plus d’une vingtaine d’années plus tard, le Rwanda a l’allure d’un pays uni. Les efforts fournis par la société civile ont été magistraux, poussés par une volonté aussi forte que ferme du gouvernement pour appeler au pardon sans le forcer. Cependant, les fractures profondes et la confiance brisée ont produit des traumatismes qui subsistent, incitant le tissu associatif rwandais à poursuivre son activité de réconciliation aux côtés des Gacacas.
Nous apprenons avec l’association Ibuka, engagée dans le soutien psychologique individuel et collectif, que les méthodes apportées par les occidentaux se révèlent parfois inefficaces. En effet, établies sur des réalités différentes de celles du pays, elles ne prennent pas en compte les dimensions spirituelles prégnantes dans les traumatismes.
Parmi les initiatives marquantes rencontrées, nous avons été touchés par l’Interfaith Commission of Rwanda, conduite par l’archevêque anglican Kolini à qui le gouvernement avait demandé son soutien, et le chef de la communauté musulmane rwandaise. L’association organise des trocs en tous genres entre les familles de bourreaux et de survivants, les amenant ainsi à établir voire à maintenir un lien social entre elles.
Nous retenons aussi vivement l’association Hope and Peace Foundation, créée par une survivante du génocide, qui invite les orphelins à se choisir une famille parmi leurs pairs.
Nous avons été témoins, le temps d’une semaine, des ressources inépuisables de force que l’humanité recèle. Le Rwanda, plus qu’une étude des relations et de la Mémoire, a constitué pour notre équipe une véritable leçon de vivre ensemble.