Partie I : le contexte
Chiffres clés :
- Indice de Paix : 2.049
- Indice de diversité religieuse : 1.4
L’indice de Paix est mesuré par l’institut d’économie et de paix en Australie à l’aide d’une méthodologie qui prend en compte 23 indicateurs et qui donne une note entre 1 et 5 à chaque pays, 1 étant un pays très pacifique et 5 étant un pays très instable. Voici le lien du rapport 2021 : https://www.visionofhumanity.org/wp-content/uploads/2021/06/GPI-2021-web-1.pdf
L’indice de diversité religieuse est porté par le Pew Research Center aux États-Unis. Il mesure le degré de diversité religieuse dans chaque pays entre 1 et 10, 1 étant un pays très peu divers religieusement et 10 un pays très divers religieusement. Voici le lien du rapport 2020 : https://www.pewresearch.org/wp-content/uploads/sites/7/2014/04/Religious-Diversity-appendix-1.pdf
La diversité de convictions au Rwanda :
D’après les dernières statistiques, 94% de la population rwandaise serait chrétienne.
Les catholiques représentent 57% de la population, devant les protestant·es qui sont 37% avec un nombre d’adventistes qui augmente et représente 11% des habitant·es. Les musulman·es sont un peu moins de 5% mais leur part semble augmenter tous les ans. On estime que moins d’un pourcent des habitant·es se réclament encore de l’animisme traditionnel.
Le catholicisme est la principale religion au Rwanda. Elle a été introduite par des missionnaires envoyés sous la colonisation allemande puis belge au XIXe siècle. De même, la religion protestante émerge avec la colonisation. L’Église catholique a peu à peu reconnu son implication dans le génocide. Au début du génocide, beaucoup de Tutsi du village sont allé·es dans des églises car en 1973, il y avait déjà eu des massacres et les Tutsi qui s’y étaient réfugiés, avaient survécu. Or, en 1994, les églises n’étaient plus des lieux sûrs. Les ecclésiastiques n’ont rien pu faire pour les sauver voire ont participé aux massacres.
L’islam, majoritairement sunnite, est vraisemblablement introduit au Rwanda par des commerçants musulmans venant de la côte est de l’Afrique au XVIIIe siècle. Pendant le génocide des Tutsi, l’islam ne fut pas une cible particulière du génocide. Des estimations ont évalué le nombre de musulmans en proportion équivalente chez les Hutu et les Tutsi. Comme pour les églises, certains imams furent impliqués dans les tueries. Cependant, les musulmans furent capables de se protéger des massacres, de même que de nombreux Tutsis non musulmans. Par exemple, l’endroit le plus sûr à Kigali fut le quartier de Biryogo, où beaucoup de musulman·es s’étaient rassemblé·es.
L’interconvictionnel et la paix au Rwanda :
Le génocide des Tutsi a causé la mort de 800 000 à 1 million de Tutsi et Hutu modérés d’avril à juillet 1994. Pour comprendre les racines de ce génocide, il faut rémonter l’Histoire du Rwanda. Il existait, avant l’arrivée du colonisateur belge, plusieurs classes sociales mais qui n’étaient pas immuables. Les Tutsi étaient plutôt des éleveurs et éleveuses, les Hutu plutôt des agriculteur·es et les Twas plutôt des ouvrier·es et des artisan·es. Un Hutu pouvait devenir Tutsi et inversement. Ce changement de statut portait le nom de Kwihutwa, un passage d’une ethnie à une autre.
Au début de la colonisation belge à partir de 1919, le pouvoir belge applique une idéologie raciste à cette division sociale. Beaucoup de chercheurs et chercheuses parlent d’une “racialisation de la société” : cela veut dire que les colons introduisent une hiérarchie entre les “races”. Les Tutsi sont supposé·es être plus riches car ils et elles appartiendraient à une “race de seigneurs”, les hamites et les Hutu seraient inférieur·es car d’origine bantoue. Cela s’incarne sur les cartes d’identité des habitant·es du Rwanda, où les Belges mentionnent l’ethnicité supposée de la personne : Tutsi, Hutu ou Twa. Cette « racialisation » (idéologie) de la société peut expliquer la montée d’un fort ressentiment chez les Hutu.
Dès 1959, à la veille de l’indépendance du Rwanda et de l’accession au pouvoir des Hutu, certains Hutu mettent alors en place des massacres de Tutsi. Les Tutsi sont alors pourchassé·es et massacré·es. La décolonisation prend progressivement la forme d’une revanche historique hutu. Les pogroms et massacres se multiplient entre les années 60 et 80. En 1973, le général Habyarimana prend le pouvoir et intensifie la propagande anti-tutsi. Cette propagande passe par les magazines et la radio et est soutenue par l’État d’Habyarimana. Les Tutsi sont appelé·es dans les médias les “Inyenzis”, qui signifie « cafards » en kinyarwanda. Cela permet la déshumanisation des Tutsi et l’utilisation de la technique du bouc-émissaire.
Dans les années 80, 600 000 Tutsi partent en exil. Certain·es des ces réfugiés forment, en exil, le FPR, le Front Patriotique Rwandais en 1987, avec le président actuel du Rwanda, Paul Kagame. Le FPR tente une offensive contre Juvenal Habyarimana en 1990. Juvenal Habyarimana appelle ses alliés pour le soutenir. La France, les Belges et le Zaïre envoient alors des troupes. L’opération Noroît, de l’armée française, permet d’affaiblir considérablement le FPR. Cette guerre civile semble prendre fin avec les accords d’Arusha en 1992, et ces accords semblent résoudre le cas des réfugiés Tutsi et permettent l’ouverture démocratique du pays.
L’attentat du 6 avril 1994, qui abat l’avion du président hutu Habyarimana est le déclencheur d’un génocide préparé par avance. Le déchaînement de violences commence le 7 avril 1994. Au cours du génocide, la Radio Télévision Llibre des Mille Collines encourage les tueries, indiquant les endroits où des Tutsi se cachent, donnant des noms de personnes à abattre, galvanisant les milicien·nes pour qu’ils et elles attrapent et découpent les corps. Il s’agit d’un “génocide de proximité”, un “génocide des voisins” comme le nomme la chercheuse Hélène Dumas. Il s’inscrit dans les réseaux de sociabilité quotidienne où les bourreaux connaissent leurs victimes, souvent depuis l’enfance. Sur les 7 millions d’habitant·es que compte le Rwanda, environ 1 million sont tué·es soit 1/7 de la population et 2 millions quittent le pays.
Deux grandes milices mettent en place ce massacre. La milice interahamwe, qui signifie « ceux qui travaillent ensemble », structurée et contrôlée par le parti présidentiel de l’époque, est l’un des acteurs centraux du génocide : elle contrôle les barrages routiers, assassine, et pille les propriétés. La milice Impuzamugambi, qui signifie « ceux qui ont un seul but », est responsable de la plupart des décès de Tutsi et de Hutu modérés durant le génocide rwandais de 1994.
La progression militaire du Front patriotique rwandais, qui a repris l’offensive le 7 avril, met fin aux tueries en juillet 1994. Le pays est alors un cimetière à ciel ouvert, vidé du reste de sa population que les cadres du génocide ont entraînée sur les chemins de l’exil, au Zaïre. En dépit des efforts de reconstruction économique et des politiques de « réconciliation nationale », l’expérience de 1994 continue aujourd’hui de hanter le pays. Le temps du génocide reste donc un temps vivant.
Dates clés :
- 1919 – 1962 : protectorat belge
- 1994 (avril-juillet) : génocide des Tutsi et des Hutu modérés
- 1999 : création de la commission nationale de l’unité et de la réconciliation
Partie II : l’étude InterFaith Tour
InterFaith Tour
- 1 ville étudiée : Kigali
- Saison 5, 15/03/2022 au 26/03/2022 : 8 entretiens avec 15 personnes (2 femmes et 13 hommes)
- 7 organisations interreligieuses
- 17 bonnes pratiques recensées
Les entretiens réalisés :
- Jacqueline de Umuseke
- Monsieur l’Ambassadeur de France à Kigali
- Eraste et Jean-Marie du Rwanda Interfaith Council on Health, RICH
- Viateur de l’Association des Scouts du Rwanda
- Innocent de la commission nationale de l’unité et de la réconciliation
- Bienvenu, Béate et Benyamin du Centre de Formation et de Documentation
- Naphtal de Ibuka
- Byagustesu, Paul et Hesbey de la Commission Interconfessionnelle au Rwanda, IFC/Rwanda
Nos découvertes et apprentissages :
Si le Rwanda est un pays qui force l’admiration tant son développement et sa reconstruction sont avancés, le génocide et ses répercussions sont encore très présents à tous les niveaux de la société. Nous avons souhaité comprendre le rôle des religions et des relations interreligieuses dans le génocide et la période post-génocidaire de réconciliation.
Le Rwanda est à majorité chrétien, et si les églises étaient des lieux de refuge pour les Tutsi lors des massacres de 1959 et de 1973, elles sont des lieux de la violence génocidaire en 1994 après que les responsables religieux aient succombé à la plus vile propagande. Ainsi, de nombreuses communautés ont participé au génocide alors que les Églises ont pris du temps à prendre leur responsabilité après le génocide. Concernant les mosquées, certaines sont connues pour avoir caché et sauvé des personnes Tutsi, alors que d’autres ont également été des lieux de violences.
Les responsables religieux catholiques, musulman·es et protestant·es prennent alors leurs responsabilités après le génocide et ensemble mettent en place plusieurs programmes liés à la réconciliation et la reconstruction du pays : ils s’engagent au sein de la commission nationale de l’unité et de la réconciliation, portent des projets de développement économique et de formations professionnelles, montent des projets de déconstruction de préjugés et interviennent dans tous les lieux pour faire de la sensibilisation.
Nous avons également mieux compris le rôle et la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsi récemment mis en lumière la commission Duclert qui rend un rapport de 1200 pages s’appuyant sur près de 8000 documents. Le rapport conclut à « un ensemble de responsabilités lourdes et accablantes » de Paris dans le génocide des Tutsi.
Les organisations interconvictionnelles :
- Commission nationale de l’unité et de la réconciliation
- Umuseke
- Rwanda Interfaith Council on Health, RICH
- L’Association du Scoutisme Rwandais
- Le Centre de Formation et de Documentation, CFD
- Ibuka
- Commission Interconfessionnelle au Rwanda, IFC/Rwanda
Les bonnes pratiques recensées :
- Organisation interconvictionnelle
- Organisation de construction de la paix
- Le Programme d’Education Civique
- Le Programme de Résolution des Conflits
- Le Programme d’Appui aux initiatives communautaires dans le domaine de l’Unité et la Réconciliation.
- Ateliers en milieu scolaire
- Ateliers de sensibilisation de santé (VIH/SIDA, Malaria)
- Visite de lieux de culte
- Comité national du dialogue islamo-chrétien
- Séminaires
- Groupes de femmes
- Groupes de jeunes
- Le repas amical
- Ateliers de sensibilisation
- Séminaires de formation
- Chantiers de reconstruction de bâtiments
- Projet d’éducation civique