Retour sur nos premiers pas en Afrique, deux semaines au rythme d’une société et de traditions qui nous étaient encore complètement étrangères.
- Coexistence ancestrale et extrémisme
Les traditions millénaires tribales, la présence arabe au moment du commerce de soie et d’esclaves, les colonies allemandes et les missionnaires chrétiens protestants : la Tanzanie constitue un amalgame d’influences culturelles et religieuses participant à faire du vivre ensemble un acquis. Pourtant, cette coexistence ancestrale a été fortement entachée par les récentes montées extrémistes. Depuis 2013, la Tanzanie recense un nombre croissant d’actes d’allégeance à l’Etat Islamique contre, non seulement ses communautés chrétiennes, mais aussi musulmanes refusant de se soumettre. Le tabou religieux et l’opacité des réactions face aux récents événements sont aussi très préoccupants. En effet, il nous aura fallu plusieurs jours avant de nous rendre compte des difficultés que traversaient le pays depuis quelques années et des tensions intercommunautaires qui en avaient résulté. Une fois la glace brisée et le dialogue instauré pour réellement comprendre la situation, nous en avons appris énormément, notamment sur le lien qu’il peut y avoir entre pauvreté et religion. Il y a peu, une affaire assez importante a secoué la Tanzanie. Elle concernait deux jeunes chrétiens qui souhaitaient trouver du travail et avaient donc décider de se lancer dans le commerce du mouton. Malheureusement, cette entreprise s’est avérée infructueuse, dans une région où cette activité est largement portée par la communauté musulmane et dont le savoir-faire se transmet de génération en génération. L’échec de ces deux jeunes prit des proportions sans précédent menant à des soupçons de discriminations. Lorsque l’affaire a pris une tournure nationale, il a ensuite été très clair que l’argument religieux ne venait ici que camoufler un problème bien plus vaste et plus profond, le chômage.
- La force du dialogue interreligieux
Malgré cela, les Tanzaniens parviennent à s’unir autour d’une singularité dont ils sont fiers : leur langue. Imposée dès l’indépendance en 1961 par Julius Nyerere, le Swahili est parvenu à fédérer les 117 tribus tanzaniennes autour d’un même langage pour permettre les échanges et le sentiment d’appartenance. Julius Nyerere laisse chez la population Tanzanienne, un sentiment de nostalgie d’une époque et d’espoirs nouveaux. Beaucoup nous parlaient de cette période avec fierté et encore une lueur d’espoir vers un renouveau plein de promesses. Si plus de 60% de la population est chrétienne (catholique et protestants à part égale), 35% est musulmane et le reste appartient aux différentes tribus traditionnelles. De par cet héritage ancestral, on retrouve notamment beaucoup de pratiques syncrétiques mêlant rites animistes et monothéistes. Plusieurs fois, nous avons aperçu dans les rues des Dar Es Salam, des bajajes (des taxis scooters) portant l’étoile de David ; Un jour, l’un d’eux s’arrête pour nous emmener vers le centre-ville et nous lui demandons s’il est juif. « Non, nous répond-t-il, je suis un fidèle de Jésus ». Une certaine incompréhension nous gagne. Quelques jours plus tard, nous apprenons que, malgré l’absence de communauté juive dans le pays, le judaïsme joui d’un respect particulier en tant que première religion monothéiste révélée, notamment par les chrétiens qui le voit comme l’héritage de Jésus Christ. Ce respect de la diversité religieuse se traduit également par l’activité d’organisations comme le Inter-Religious Council for Peace Tanzania qui s’évertue à rassembler régulièrement les communautés chrétiennes, musulmanes, traditionnelles, mais aussi Ba’haï pour imaginer de nouvelles activités de cohésion. Participations au dialogue, match de foot entre responsables religieux, prises de parole en publique : chaque chef spirituel doit prendre conscience de son rôle et de son influence sur la société.
- La fragilité du système éducatifs et les stigmatisations
Du temps de Nyerere, comme le rappelaient nombre de Tanzaniens, l’éducation était alors une priorité. Aujourd’hui, la réussite scolaire est davantage permise au sein d’établissements privés que publiques. Si le réseaux d’écoles confessionnelles est très large, il est également mixte. Beaucoup d’enfants de familles chrétiennes, se retrouvent en école musulmane et inversement. Si la religion n’est pas un sujet de conversation récurent chez les jeunes, ils vivent pourtant cette diversité au quotidien. Cependant, on relève aussi les carences en terme d’éducation sexuelle et le tabou qui l’entoure, notamment en ce qui concerne la contraception. En Tanzanie, 59% des femmes ont un enfant avant l’âge de 18 ans, dont 27% avant 15 ans… Celles qui ont le malheur de tomber enceinte pendant leur cursus scolaire, sont tout simplement interdite de venir à l’école, et ce, même après leur accouchement. La Tanzanian Youth Alliance, une organisation d’entreprenariat portée par des jeunes, s’emploie notamment à combattre ces tabous en proposant des solutions accessibles à tous les jeunes via leurs vidéos partagées sur les réseaux sociaux : mise en lumière des souffrances face à la stigmatisation (homosexualité, VIH, violences sexuelles, conversion etc.), mais aussi des initiatives de jeunes entrepreneurs Tanzaniens. La TYA est une véritable pépinière d’initiatives innovantes et inclusives !
- Un nouveau rythme pour notre équipe
Notre aventure tanzanienne se caractérise aussi par la difficulté que nous avons eu à organiser des rendez-vous et nous faire comprendre sur l’objectif de notre venue. Les moyens de transports n’arrangeaient pas grand-chose, malgré l’enthousiasme des tanzaniens pour nous guider au mieux. L’InterFaith Tour 2 ayant également réalisé une première étude pays, deux an auparavant, Eloi veillait à nous emmener dans d’autres villes pour rencontrer de nouveaux acteurs. C’est ainsi que nous nous sommes enfoncés dans les terres pour atteindre Arusha puis le Kilimandjaro, après plus de 11h de bus au travers de la steppe et savane tanzanienne. De nos moments d’équipes, on retiendra, au détour d’un fou rire, Sami déambulant en djellaba à la sortie de sa prière du vendredi et accueillit comme un émir par de nombreux Tanzaniens, ainsi que le décalage entre notre rythme effréné et celui imposé par la chaleur assommante et simplement la culture bien différente de la nôtre. Avec du recul, on rira aussi des nuits passées à la réception de l’hôtel pour tenter désespérément de capter un peu de wifi pour télécharger nos vidéos sur les réseaux sociaux. Si le temps ne semblait plus avoir la même unité de mesure, il nous a aussi permis de découvrir le pays autrement et d’aborder notre étude du pays d’une autre manière.
Grâce à nos hôtes, Abubakar mais aussi Ramson, sa femme Naomi et leur adorable petite fille Alice, nous avons pu découvrir l’immensité de ce pays. De Dar Es Sallam et ses environs, en passant par Bagamoyo, Arusha, puis enfin le Kilimandjaro : Si la route était longue entre chaque destination, le voyage en valait toujours la chandelle ! Des paysages à couper le souffle, comme dans les documentaires d’Arte que l’on regardait en famille, enfoncés dans nos canapés, une explosion de couleurs dans les marchés de la ville, des mélodies entrainantes et ces voix résonnantes à chaque coin de rue. Pourtant la Tanzanie, c’est aussi une panoplie de personnes ayant à cœur de prouver au monde que leur pays et l’Afrique sont autre chose que ce que l’on veut bien faire penser d’eux. Une terre faite de richesses tant naturelles qu’humaines, qui forme sa jeunesse pour un futur plus radieux, débarrassé de toute tutelle étrangère.