Ce matin, on s’est levés tôt pour aller à Yad Vashem, qui est le mémorial pour les martyrs et les héros de la Shoah. C’est une étape très importante dans notre semaine à Jérusalem : contrairement à Abderrahim, Floraine et Vincent, il n’y a pas de lieu sacré incontournable pour moi dans cette ville, même si j’ai été ravie de découvrir avec eux le Kotel, l’Esplanade des Mosquées ou le Saint-Sépulcre. Par contre, mon “impondérable” à moi (comme on les appelle parfois), c’était la visite de Yad Vashem. Nous avons prévu 4 heures pour découvrir le lieu, mais nous avons compris plus tard qu’il faut en réalité la journée entière pour pouvoir tout voir.
Nous avons commencé par l’exposition qui retrace toute l’histoire de la Shoah, avec nos audioguides. Elle prend la forme d’un long tunnel triangulaire, dans lequel on passe de salles en salles, suivant un ordre à la fois thématique et chronologique. Les espaces sont reliés par des failles, au sol, qui représentent les grandes ruptures historiques qui ont marquées ces années : la destruction des livres d’auteurs juifs, l’arrivée au pouvoir d’Hitler, l’invasion de la Pologne, la déportation, etc.
J’ai été tres marquée par l’un des premiers panneaux de l’exposition : de chaque côté du tunnel, des immenses photographies avec des tas de cadavres squelettiques, des corps nus qui n’en sont presque plus, exposés dans toute leur vulnérabilité. Ce genre de cliché me gêne habituellement, je les trouve impudiques, indignes. Mais à Yad Vashem, un autre panneau transparent fait écran à ces photographies, sur lequel sont représentés les objets qui ont été trouvés dans les poches des victimes : des photos de familles, des portraits d’enfants, des livres de prière… Chacun de leur nom a été recherché et figure en noir sur blanc sous les documents d’archives. Dans la même perspective, on a donc la mort et la vie, la déshumanisation la plus totale et son opposition la plus forte. C’est un tableau qui donne le ton de toute la démarche de ce lieu, qui est un acte fort de résistance par la mémoire. Yad Vashem expose et documente en détail l’un des processus les plus atroces de notre histoire, mais prend le soin de le faire vivre par le prisme des parcours individuels, des trajectoires familiales. Le mémorial redonne une dignité, par le témoignage, à ceux qu’on a voulu anéantir.
Certains de ces témoignages sont presque insoutenables. On a beau savoir, le degré d’atrocité qui a été atteint pendant la Shoah est difficile à imaginer, même quand il est expliqué par des survivants. Ça pose la question de la manière dont on va pouvoir transmettre sa mémoire quand les témoins auront tous disparus, ce qui est imminent maintenant. Quelle responsabilité pour notre génération ! J’ai déjà entendu que “on parle trop de la Shoah”, que “c’est bon on a compris”, que “ça ne risque pas de recommencer”…. j’y ai beaucoup pensé dans les couloirs de Yad Vashem, j’ai pensé à tous les chercheurs qui ont réuni les milliers de documents d’archives que j’avais devant les yeux, et j’ai compris que leur travail était vraiment le début mais qu’un défi de taille s’ouvrait devant nous.
Un autre élément m’a permis de le réaliser: le fait de partager ma visite avec plus de cinq groupes de jeunes soldats israéliens en plein service militaire, leurs armes à la main. Quelle expérience gênante de se recueillir au milieu des fusils, de lire l’histoire de la seconde guerre mondiale entourée de soldats. Ça a contribué à nous faire comprendre que la mémoire exposée à Yad Vashem est aussi un outil d’instrumentalisation politique, ce qu’a confirmé notre passage par la boutique de souvenir à la fin du parcours…
Entre temps nous avons pu rechercher sur des ordinateurs, Floraine et moi, la trace des membres de nos familles qui ont été déportés. C’était une étape importante, qu’Abderrahim et Vincent sont venus partager avec nous : un beau moment d’équipe. Après un passage sous une sorte de rotonde tapissée des photos de victimes de la Shoah, nous sommes allés visiter certains des espaces extérieurs. D’abord, nous avons vu le mémorial pour les déportés : un wagon en bois sur des rails qui ne mènent nulle part, au milieu des arbres. Puis nous sommes descendus vers le jardin des Justes. Nous avons été impressionnés par le nombre de noms que nous y avons trouvé : c’est émouvant de voir des listes de noms de héros, quand nous avons surtout l’habitude de lire des noms de victimes. Nous avons été tres frustrés de devoir partir avant d’avoir fini le tour du lieu, mais nous avions des rendez-vous de l’autre côté de Jérusalem.
Après un repas en 10 minutes dans la rue, nous avons retrouvé Nava, la coordinatrice pédagogique de Rabbis for Human Rights. Elle nous a parlé de ses actions avec des jeunes israéliens, qu’elle accompagne pendant une année avant leur service militaire : elle leur fait rencontrer des palestiniens, leur parle de leur culture, et du respect des droits humains. Elle profite de cet entretien pour nous inviter à la cueillette des olives chez un fermier palestinien dans quelques jours : nous sautons sur l’occasion, ravis de pouvoir assister à une action en train de se faire !
Après avoir quitté Nava, nous avons marché un moment dans la ville pour rejoindre Nurit, qui nous a parlé de ses projets pour faire avancer les droits des Israéliens victimes de discrimination. Elle travaille notamment sur la création d’un comité de femmes arabes et juives israéliennes qui choisiraient ensemble leurs combats communs. Nous sommes rentrés sur le mont des oliviers, épuisés de cette journée et encore assez bouleversés de l’expérience Yad Vashem. Nous avons pris le temps de revenir à 4 sur nos impressions et nos ressentis, et ça nous a permis de mettre des mots sur nos pensées : de quoi passer une nuit apaisée !
Adèle