( English version bellow ) Selon l’indice Henley des Passeports, la France occupe la 6e place sur 195 pays, ce qui signifie que les Françaises et les Français peuvent visiter 186 pays sans visa, presque tous les pays du monde. Et ça, c’est un énorme privilège.
Arrivée en France à l’âge de 14 ans, je n’ai pas toujours eu ce privilège. J’ai connu quelques temps les queues à 5h du matin à la préfecture pour espérer avoir un récépissé dans la matinée ou le Graal, la carte de séjour. Je me rappelle du froid de l’attente ou de l’angoisse d’avoir oublié un papier, d’avoir mal fait une photocopie ou mal découpé une photo d’identité. Naturalisée française pendant mes premières années d’études, si je me rappelle de la “galère”, je veux bien admettre que je ne me souviens pas suffisamment de ce que c’était. Avoir un passeport rouge m’a fait un peu oublier.
Préparer un tour du monde engagé demande une préparation rigoureuse et appliquée. Cependant, nous nous sommes rarement posé la question des visas (uniquement pour l’Algérie). Ne pas avoir à se poser cette question nous a invitées à interroger nos biais pendant toute la préparation du projet et continue de le faire aujourd’hui. De la liberté de circulation à l’accès à la vaccination en passant par l’utilisation des ressources, nous avons décidé de définir ces différents biais et de proposer des pistes de travail individuel et collectif pour prendre conscience de nos représentations situées et subjectives.
Liberté de circulation
Tout le monde n’a pas la liberté de circulation que quatre Françaises peuvent avoir. Il va donc souvent nous arriver de rencontrer des personnes qui n’ont pas la possibilité, parfois pas les moyens ou plus encore n’ont pas le droit de circuler dans d’autres villes, d’autres pays ou d’autres continents. Ainsi, il est nécessaire de prendre conscience de l’impact que ça peut être de parler d’un tour du monde, de le faire avec précaution, d’éviter de se plaindre de difficultés administratives minimes et de travailler notre posture lors des entretiens et des rencontres. Cette liberté de circulation n’en est pas une pour une large partie de la population du monde.
Vaccination et Covid
Nous venons d’un pays où 75% de la population est vaccinée et où toutes les personnes pourraient l’être si elles le souhaitaient au vu des commandes réalisées par l’Union Européenne. Nous venons d’étudier le Brésil où seulement 36% (au 15 octobre 2021) de la population est complètement vaccinée avec quatre vaccins différents aux efficacités variables et 67% de la population a reçu une première dose. Le Brésil a aussi connu une des vagues de contamination du Covid les plus meurtrières puisque plus de 600 000 morts ont été répertoriés. Depuis notre arrivée, nous avons réalisé des entretiens avec des personnes qui n’étaient pas sorties de chez elles ou en dehors de leur premier cercle familial avant notre rencontre. Nous avons beaucoup de gratitude à l’égard de ces personnes engagées qui ont accepté de nous accorder un entretien en présentiel. Ainsi, il est apparu nécessaire que nous prenions toutes les précautions pour prendre le moins de risque possible. Nous sommes toutes les 4 vaccinées, nous avons avec nous des auto-tests afin de nous tester régulièrement et systématiquement entre chaque long déplacement.
Écologie et environnement
C’est peut-être le point de dissonance le plus important de ce projet. Comment aller à la rencontre de personnes inspirantes, comprendre les projets au plus près de là où ils sont réalisés, s’approprier les contextes étudiés dans lesquels les initiatives s’inscrivent sans être sur place ? Comment aller sur le terrain pour une période de temps raisonnable selon notre société française (10 mois) sans arrêter drastiquement de prendre l’avion ? Le programme InterFaith Tour, tel qu’il existe aujourd’hui, ne permet pas d’arrêter complètement de prendre l’avion, et pourtant c’est bien l’un des gestes individuels qui, lorsqu’il est pris, permet de limiter considérablement l’impact carbone négatif. Une commission de l’association InterFaith Tour travaille activement sur le sujet mais en attendant, à l’aune de ces réflexions, nous avons décidé de prendre certaines dispositions, qui sont déjà de l’ordre du privilège et de la possibilité de se poser ces questions. En équipe, nous nous sommes engagées à faire attention à nos modes de transport et à l’utilisation que nous faisons de nos ressources, à prendre autant que possible des vols directs pour éviter les escales, à se limiter au maximum à 15 avions sur l’ensemble du tour du monde et à privilégier les transports en commun (trains, bus, métro). Nous prenons soin également d’avoir un mode d’alimentation éco-responsable. Si les gestes individuels ne changent pas tout, nous souhaitons essayer de trouver un équilibre cohérent dans le quotidien de notre voyage d’étude.
La France, 5e puissance mondiale
Nous sommes françaises et il est important de considérer les biais que cela entraîne dans notre conception du monde, dans nos analyses, dans notre étude. Nous venons de la 5e puissance mondiale, un pays au lourd passé colonial, un pays qui exerce bien-sûr un certain poids dans la géopolitique actuelle. Nous sommes également quatre femmes, jeunes, nous sommes juive, chrétienne, musulmane et agnostique, nous avons toutes étudié dans le système éducatif français (cursus scolaires à Paris, Maubeuge, Agadir et Viroflay) et nous maîtrisons à quatre le français, l’anglais, l’allemand et l’arabe. Tout au long du programme, il s’agira de tenter de comprendre ces biais et dépasser une vision uniquement euro-centrée et biaisée par nos caractéristiques socioprofessionnelles. Nous devrons analyser nos représentations et les contextualiser en diversifiant le plus possible les sources d’informations et le champ des personnes ressources que nous sollicitons. Ainsi, nous allons faire appel à des interprètes pour ne pas nous cantonner aux entretiens dans les langues que nous maîtrisons et nous souhaitons systématiquement rencontrer des universitaires des pays étudiés. Nous allons travailler avec soin notre posture et notre grille d’entretien relue par plusieurs chercheuses et chercheurs. Enfin, nous nous engageons à lire avec beaucoup d’attention de la littérature d’expertes et experts sur nos sujets en amont des entretiens.
Pour finir
Il n’est pas question de vivre avec un sentiment constant de culpabilisation, mais réellement de prendre conscience de nos privilèges. Cette prise de conscience et ce travail de transparence nécessaires doivent nous aider à repenser nos représentations à l’aune de nos positions sociales, à changer nos regards et bousculer nos certitudes pendant ces 10 mois d’étude.
Radia Bakkouch, pour la 5e équipe InterFaith Tour
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Four red passports
According to the Henley Passport Index, France ranks 6th out of 195 countries, which means that French people can visit 186 countries without a visa, almost every country in the world. And that’s a huge privilege.
When I arrived in France at the age of 14, I did not always have this privilege. For a while, I knew the lines at 5 am at the prefecture to hope to get a receipt in the morning or the Holy Grail, the residence permit. I remember the cold waiting time or the anxiety of having forgotten a paper, of having made a wrong photocopy or cut out an identity photo. Naturalized French during my first years of study, if I remember the “galère”, I want to admit that I don’t remember enough about what it was like. Having a red passport made me forget a bit.
Preparing for an activist world tour requires rigorous and conscientious preparation. However, we rarely asked ourselves the question of visas (only for Algeria). Not having to ask ourselves this question invited us to question our biases during the whole preparation of the project and continues to do so today. From freedom of movement to access to vaccination and the use of resources, we decided to define these different biases and to propose individual and collective ways of working to become aware of our situated and subjective representations.
Freedom of movement
Not everyone has the freedom of movement that four French women have. It will therefore often happen that we meet people who do not have the possibility, sometimes the means or even the right to move to other cities, other countries or other continents. Thus, it is necessary to be aware of the impact it can have to talk about a world tour, to do it with care, to avoid complaining about minor administrative difficulties and to work on our posture during interviews and meetings. This freedom of movement is not one for a large part of the world’s population.
Vaccination and Covid
We come from a country where 75% of the population is vaccinated and where all the people could be if they wished it in view of the orders realized by the European Union. We have just studied Brazil where only 36% (as of October 15, 2021) of the population is fully vaccinated with four different vaccines of varying effectiveness and 67% of the population has received the first dose. Brazil has also experienced one of the most deadly waves of Covid infection with over 600,000 deaths reported. Since our arrival, we have conducted interviews with people who had not left their homes or first family circle prior to our meeting. We are very grateful to these activists who agreed to give us a face-to-face interview. Thus, it appeared necessary that we take all precautions to take the least risk possible. We are all 4 vaccinated, we have with us self-tests in order to test ourselves regularly and systematically between each long trip.
Ecology and environment
This is perhaps the most important point of dissonance in this project. How to go and meet inspiring people, understand the projects as close as possible to where they are carried out, and appropriate the contexts studied in which the initiatives take place without being on the spot? How to go to the field for a reasonable period of time according to our French society (10 months) without stopping drastically to take the plane? The InterFaith Tour program, as it exists today, does not allow to completely stop taking the plane, and yet it is one of the individual gestures which, when taken, allows to considerably limit the negative carbon impact. A committee of the InterFaith Tour association is actively working on the subject but in the meantime, in light of these reflections, we have decided to take certain measures, which are already of the order of privilege and the possibility of asking ourselves these questions. As a team, we have committed ourselves to be careful with our ways of transportation and the use of our resources, to take direct flights as much as possible to avoid stopovers, to limit ourselves to a maximum of 15 airplanes for the entire world tour and to favor public transportation (trains, buses, subways). We also take care to have an eco-responsible way of eating. If individual actions do not change everything, we want to try to find a coherent balance in the daily life of our study trip.
France, the world’s 5th largest power
We are French, and it is important to consider the biases that this brings to our worldview, to our analyses, to our study. We come from the 5th world power, a country with a heavy colonial past, a country which of course exerts a certain weight in current geopolitics. We are also four young women, we are Jewish, Christian, Muslim and agnostic, we have all studied in the French educational system (school courses in Paris, Maubeuge, Agadir and Viroflay) and we master French, English, German and Arabic. Throughout the program, we will try to understand these biases and go beyond a solely Euro-centric vision biased by our socio-professional characteristics. We will have to analyze our representations and contextualize them by diversifying as much as possible the sources of information and the field of resource persons that we solicit. Thus, we will call upon interpreters to not limit ourselves to interviews in the languages that we master and we wish to systematically meet with academics from the countries under study. We will carefully work on our posture and our interview grid, which will be reviewed by several researchers. Finally, we commit to reading expert literature on our topics very carefully in advance of the interviews.
Finally
It’s not about living with a constant sense of guilt, but really about becoming aware of our privilege. This necessary awareness and transparency work should help us rethink our representations in light of our social positions, change our outlook and shake up our certainties during these 10 months of study.
Radia Bakkouch, for the 5th InterFaith Tour team